Monday, March 27, 2006

Le 9 mars 2006: Temoignage de Abdul Joshua Ruzibiza au TPI pour le Rwanda siégeant à Arusha


From: Jean-Claude Kalinijabo <kalinijabo@yahoo.com>
Reply-To: Umusoto@yahoogroups.com
To: rwandanet@yahoogroups.com
Subject: [Umusoto] Procès-Verbaux du TPIR, 9 et 10mars 2006Date: Sat, 25 Mar 2006 13:05:54 -0800 (PST)


Chers Internautes,

La semaine passée, je vous ai fait parvenir en format PDF le transcript de l’interrogatoire et contre-interrogatoire du Lt. Joshua Ruzibiza dans le procès de THÉONESTE BAGOSORA, GRATIEN KABILIGI, ALOYS NTABAKUZE, et ANATOLE NSENGIYUMVA devant le TPIR.

Certains membres de ce forum m’ont déclaré qu’ils n’étaient pas en mesure d’ouvrir les documents attachés en format PDF. Je suis parvenu à obtenir copie de la version française des procès-verbaux complets des deux séances, celle du 9 mars et celle du 10 mars 2006, en format MS Word.

Pour ceux qui ont déjà lu le livre de Ruzibiza, « Rwanda, l’histoire secrète » ou ses autres écrits (notamment sur Internet), je peux vous assurer que vous trouverez dans ces deux procès-verbaux des réponses à bien de questions que vous auriez aimé poser à Ruzibiza lui-même après lecture de son livre. En tout cas ce fut le cas pour moi. Avec du sang froid que je trouve hors du commun, Monsieur Ruzibiza a toujours su trouver des réponses aussi concises que précises. Personnellement, je n’ai relevé aucune contradiction dans ces dires, que ce soit au cours des audiences ou que ce soit dans ces précédents écrits. En tout état de cause, vous remarquerez que le bureau du procureur n’a rien ménagé pour coincer ce témoin, au point même de faire des commentaires allant jusqu’à quasiment s’attaquer à sa vie personnelle. Vous lirez par example à la page 47 du procès verbal du 10 mars les interventions suivantes où le représentant du procureur cherche à insinuer que le Lt. Ruzibiza est un chômeur qui chercher à gagner sa vie en formulant de fausses accusations contre certains membres du FPR et de l’APR. Lisez vous même ce bref exrait :

Rashid Rashid (Bureau du procureur)Q. Ainsi, voici un autre forum, une autre tribune qui vous permet de parler des crimes de l’APR et du FPR ; vous avez vous-même créé cette opportunité ?
Me ERLINDER (Défense de Ntabakuze) :Monsieur le Président, objection. Les témoins viennent ici parce qu’ils sont cités à comparaître. Donc, il ne crée pas une opportunité.
M. LE PRÉSIDENT :On n’a pas besoin de cela, Monsieur Rashid. Est-ce qu’il y a... Est-ce qu’il reste d’autres questions ?
M. RASHID :Une seule.
Q. Votre nouveau gagne-pain, votre emploi, maintenant, consiste à porter des accusations contre l’Armée patriotique rwandaise et le Gouvernement du Rwanda ; c’est ainsi que vous gagnez votre vie aujourd’hui ?
Me ERLINDER :Objection. Il n’y a pas eu de dépositions selon lesquelles il obtient un gain financier. Depuis que le témoin a... a commencé, et depuis qu’il est allé en asile politique... Au départ, il était en Ouganda ; après, il est allé dans un pays en Europe. Donc, je crois que cette présentation des faits n’est pas équitable.
M. LE PRÉSIDENT :C’était là la dernière question.
Q. Monsieur le Témoin, est-ce que vous avez un commentaire ? C’est volontaire.
R. Je ne sais pas s’il parle français pour qu’il puisse lire mon livre. Parce que, dans mon livre, je n’accuse pas le gouvernement, j’accuse plutôt certains individus, certains membres du gouvernement ; j’accuse aussi les Interahamwe et les extrémistes hutus. Et j’accuse aussi des puissances étrangères comme la France, et j’accuse aussi les Rwandais qui se sont... qui ont une part dans les crimes commis, ainsi que les conséquences que nous souffrons à cause de ce qui s’est passé. Mais, sinon, je précise que je ne combats pas le gouvernement en place. Et je ne suis pas venu devant cette Chambre pour accuser l’APR parce que, dans ce cas-là, je serais aussi accusé par... comme membre de l’APR. Et je suis tout simplement venu ici pour dire la vérité, parce que cette Chambre et ce Tribunal ont besoin de connaître la vérité sur ce qui s’est passé.
M. RASHID :
Q. Vous n’avez pas un autre emploi, en ce moment, n’est-ce pas ?
R. Mais est-ce que vous pensez que je vis des accusations que je formulerais contre le gouvernement ?

Comme il est parfois impossible de lire les « attachments » sur yahoogroups.com, il est recommendé d’essayer d’ouvrir ces deux documents directement à partir de votre email.

Chacun des procès verbaux comprend plus de 80 pages et il serait conseillé de les imprimer afin de pouvoir les exploiter à votre aise.

Bonne lecture.

J.C

TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA

AFFAIRE N° ICTR-98-41-T LE PROCUREUR
CHAMBRE I C.
THÉONESTE BAGOSORA
GRATIEN KABILIGI
ALOYS NTABAKUZE
ANATOLE NSENGIYUMVA

PROCÈS
Jeudi 9 mars 2006
9 h 10

Devant les Juges :
Erik Møse, Président
Jai Ram Reddy
Sergei A. Egorov

Pour le Greffe :
Marianne Ben Salimo
Edward E. Matemanga

Pour le Bureau du Procureur :
Barbara Mulvaney ; Drew WhiteChristine Graham ; Rashid Rashid
Stephen Rapp

Pour la défense de Théoneste Bagosora :
Me Raphaël Constant (absent)
Me Allison Turner

Pour la défense de Gratien Kabiligi (absent) :
Me Paul Skolnik
Me Frédéric Hivon (absent)

Pour la défense d’Aloys Ntabakuze :
Me Peter Erlinder
Me André Tremblay

Pour la défense d’Anatole Nsengiyumva :
Me Kennedy Ogetto
Me Gershom Otachi Bw’Omanwa

Sténotypistes officielles :
Hélène Dolin
Laure Ketchemen

TABLE DES MATIÈRES
PRÉSENTATION DES MOYENS DE PREUVE À DÉCHARGE

JOSHUA RUZIBIZA

Interrogatoire principal de la Défense d’Aloys Ntabakuze, par Me Erlinder............................................. 4
Contre-interrogatoire de la Défense de Gratien Kabiligi, par Me Skolnik............................................... 66
Contre-interrogatoire de la Défense de Théoneste Bagosora, par Me Turner........................................ 75
Contre-interrogatoire de la Défense d’Anatole Nsengiyumva, par Me Ogetto........................................ 77



PIÈCES À CONVICTION

Pour la Défense d’Aloys Ntabakuze :
D NT 214 — sous scellés ................................................................................................................... 2
D. NT 215......................................................................................................................................... 42
D. NT 216......................................................................................................................................... 57
D. NT 217......................................................................................................................................... 59











(Début de l'audience : 9 h 10)

M. LE PRÉSIDENT :Bonjour. L'audience est ouverte. Nous commençons un peu tard aujourd'hui, parce que nous devions régler quelques problèmes pratiques. La Défense de Kabiligi ?
Me SKOLNIK :Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour, Messieurs les Juges, chers Collègues, Monsieur le Témoin. Je voudrais informer la Chambre que le général Kabiligi est absent ce matin. Et j'ai une autre demande : Quand le Témoin Tchambi a déposé, j'ai oublié de demander à la Chambre de bénéficier de l'exception par rapport à la décision selon laquelle il ne devait communiquer avec personne. Je voulais une exception pour l'équipe de Kabiligi.
M. LE PRÉSIDENT :Je vous remercie. Ce que vous avez dit premièrement est noté et on fait droit à votre deuxième requête. Bonjour, Monsieur le Témoin.
M. RUZIBIZA :Bonjour, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT :Est‑ce que vous allez déposer sous votre propre nom ou alors avec un pseudonyme ?
M. RUZIBIZA :Je vais faire la déposition sous mon nom propre et pas sous le pseudonyme.
M. LE PRÉSIDENT :Très bien. Nous avons la fiche d'identification de Monsieur Joshua Ruzibiza sous les yeux. Est‑ce que vous l'avez sous les yeux, Monsieur le Témoin ?
M. RUZIBIZA :Oui.
M. LE PRÉSIDENT :Est‑ce votre signature qui est apposée au bas de ce document ?
M. RUZIBIZA :Oui.
M. LE PRÉSIDENT :
Ainsi les informations contenues dans ce document sont exactes ?
M. RUZIBIZA :Oui, l'information est correcte.
M. LE PRÉSIDENT :Monsieur Matemanga ?
M. MATEMANGA : « D. NT 214 ».
M. LE PRÉSIDENT :Sous scellés, parce qu'il y a quelques éléments qui doivent être protégés.

(Admission de la pièce à conviction D. NT 214 — sous scellés)Oui, Maître Erlinder ?
Me ERLINDER :Merci, Monsieur le Président. Donc suite à notre discussion à huis clos ce matin, nous avons obtenu certains documents du Procureur ; ça va nous prendre quelque temps pour nous en imprégner.
M. LE PRÉSIDENT :Poursuivez.
Me ERLINDER :Merci. J'ai soulevé deux points hier, je voudrais attirer l'attention de la Chambre là‑dessus. Premièrement, comme la Chambre le sait, les équipes de défense ont soulevé de fortes objections par rapport aux activités du Bureau du Procureur, c'est‑à‑dire le fait d'obtenir des dossiers d'immigration de la part des différents témoins — parce qu'ils disent qu'ils veulent ces informations pour contre‑interroger le témoin. Dans la situation où ça a été fait… la communication nous a été faite, nous avons montré cela à Monsieur Ruzibiza et il a exprimé une grande préoccupation, parce qu'il a dit que des personnes autres que lui étaient mentionnées dans ces dossiers d'immigration. Et il m'a demandé de dire à la Chambre que le Procureur ne devrait pas garder ces documents en sa possession, et s'ils sont retenus par la Chambre, il faut que toutes ces copies‑là soient sous scellés parce qu'il est préoccupé par ces noms qui y figurent ; parce que ça peut partir du Tribunal pour se retrouver entre les personnes... les mains des personnes qui peuvent faire du mal à des membres de sa famille. Par ailleurs, il y a plusieurs noms qui... il y a des noms qu'il ne veut pas mentionner parce qu'il n'a pas parlé à ces tiers‑là, et il ne voudrait donc pas que ces noms‑là soient utilisés. Et quand ce problème va survenir, il faudra qu'on trouve un moyen de consigner par écrit ces noms‑là, de façon à les mettre sous scellés, pour qu'ils ne deviennent pas publics. Ayant dit cela, si la Chambre s'y intéresse — et peut‑être que Monsieur Ruzibiza pourrait intervenir, je ne sais pas si on peut le faire à huis clos ou en audience publique —, je ne pense pas qu'on doit parler des noms spécifiques ou même du pays d'origine.
M. LE PRÉSIDENT :Vous n'allez pas évoquer ces documents d'immigration dans votre interrogatoire principal ?
Me ERLINDER :Non.
M. LE PRÉSIDENT :Donc on peut reporter cela à plus tard.
Me ERLINDER :C'est le témoin qui a soulevé ce problème avec moi et je voudrais qu'on essaie de savoir s'il est prêt à poursuivre, dans la situation actuelle.
M. LE PRÉSIDENT :Nous allons suivre la procédure habituelle. Si le Procureur utilise ces documents, oui, nous allons procéder comme habituellement.

Quelle était la deuxième remarque, Maître Erlinder ?
Me ERLINDER :La deuxième remarque avait le trait... avait trait au fait qu'on mentionne des tiers dans ces documents, parce qu'il y a des tiers qu'il n'aimerait pas mentionner par leurs noms en public. Quand nous allons arriver à ces noms‑là, nous avons besoin de trouver un moyen de veiller à ce que la Chambre obtienne les informations dont elle a besoin sans mettre en péril des tiers.
M. LE PRÉSIDENT :Nous le faisons tous les jours dans cette salle d'audience ; ça n'a rien d'inhabituel. Nous allons revenir là‑dessus quand le problème va se... va survenir. Est‑ce que vous avez quelque chose à dire au niveau du Procureur ?
Mme MULVANEY :Je voudrais tout simplement qu'on tire les rideaux pour qu'on puisse voir le témoin.
M. LE PRÉSIDENT :Nous sommes d'accord là‑dessus. On peut commencer l'interrogatoire principal.
Me ERLINDER :Monsieur Ruzibiza, vous aviez demandé que je fasse cette demande à la Chambre concernant vos dossiers d'immigration et vous vouliez que ce problème soit résolu avant que vous ne commenciez votre déposition.
Mme MULVANEY :C'est ridicule. Nous savons comment gérer les informations dans cette salle d'audience.
M. LE PRÉSIDENT :Faisons cela de la façon dont on le fait tous les jours. Et premièrement, je veux dire ceci : Monsieur le Témoin, vous devez dire la vérité et le Greffe va maintenant vous faire prêter serment.

(Assermentation du témoin M. Ruzibiza)
C'était le premier point. Le deuxième, c'était le point soulevé par Madame Mulvaney : C'est‑à‑dire qu'on devait tirer les rideaux et personne n'empêche maintenant le technicien de filmer le témoin, il témoigne en audience publique sans pseudonyme. Commençons par la première question.
LE TÉMOIN M. JOSHUA RUZIBIZA
ayant été dûment assermenté,
témoigne comme suit :
INTERROGATOIRE PRINCIPAL
PAR Me ERLINDER :Monsieur le Président, la première question est la suivante.
Q. Monsieur le Témoin, vous avez suivi ce qui s'est passé concernant les dossiers d'immigration ; est‑ce que vous êtes prêt à poursuivre à la lumière de la décision de la Chambre ? C'est à votre discrétion.
M. RUZIBIZA :
R. Je suis prêt à continuer avec ma déposition, mais je me pose néanmoins la question : Pourquoi les documents d'immigration ne sont pas restés confidentiels ? Pourquoi ils ont été transmis au Bureau du Procureur, alors que dans ces documents apparaissent des noms de tierces personnes qui sont toujours sur le territoire rwandais ? Et j'estime que si jamais ces noms sont connus du public,
ces tierces personnes risquent d'avoir des problèmes. Mais s'agissant de ma propre personne, cela ne me cause aucun problème. Et je réitère donc la demande que ces documents restent propriété du Tribunal et qu'ils ne soient pas diffusés à l'extérieur du Tribunal.
M. LE PRÉSIDENT :C'est la situation en ce moment, et on va rentrer dans les détails plus tard. Donc, soyez rassuré.

Les questions, Maître Erlinder.
Me ERLINDER :
Q. Monsieur Ruzibiza, votre fiche d'identification révèle que vous étiez dans le FPR en 1994. Dites‑nous quand vous avez rejoint les rangs du FPR ? On va parler de l'histoire générale plus tard, mais soyez concis pour le moment.
R. J'ai rejoint le FPR en 1987, dès qu'il a été fondé, et je me trouvais, à cette époque, au Burundi. Mais avant que je ne rejoigne le FPR, j'avais appartenu à des associations de la jeunesse des réfugiés rwandais. Et au fur et à mesure que le temps avançait, lorsque le FPR a été fondé en 1987, j'ai rejoint officiellement cette organisation. Et en 1990, au mois d'octobre, j'ai rejoint la branche armée et je suis resté membre de cette branche armée jusqu'au 4 février 2001, lorsque j'ai quitté officiellement le pays.
Q. Dites‑nous pourquoi avez‑vous quitté le pays ?
R. J'ai quitté le Rwanda parce que je commençais à avoir des problèmes relatifs... relatifs à ma sécurité, à cause de ma position, suite à l'injustice que je constatais et qui était le fait des instances qui étaient supposées combattre l'injustice. Et je constatais que la situation avait changé entre‑temps, entre la date où j'avais rejoint le FPR et le jour où j'ai dû le quitter. J'ai constaté que l'injustice que nous étions supposés combattre était érigée en système de gouvernement et j'ai jugé que je ne pouvais pas continuer à aller contre ma conscience. Et j'ai donc décidé de quitter le pays.
Q. Monsieur le Témoin... plutôt, Monsieur Ruzibiza, est‑ce que vous avez eu l'occasion d'écrire des articles, des livres sur ce que vous avez vu pendant que vous étiez dans le FPR ?
R. Lorsque j'étais encore membre de l'Armée patriotique rwandaise ou au sein du FPR, je n'ai fait aucune publication. Mais à partir du moment où j'ai quitté le pays, j'ai élaboré plusieurs documents relatifs à ce que j'ai pu constater pendant que j'étais membre du FPR. Et parmi ces écrits, parmi ces documents, il y a un document que j'ai même ici. Il y a un livre intitulé : Rwanda, l'histoire secrète ; et dans ce livre, j'ai consigné ce que j'ai pu observer et le résultat de mes recherches depuis 1990 jusqu'en 2001. Un autre document que j'ai publié est une déclaration que j'ai faite en 2003, au mois d'avril ou vers la fin du mois de mars, et c'était après la parution d'un article qui était sorti dans le journal Le Monde ainsi que d'autres publications, dont une dans La Libre Belgique, et dans lequel article on publiait certaines des informations que j'avais données aux instances officielles relatives... relatives à l'assassinat du Président Habyarimana. Et lorsque le Président de la République et le Ministre de la défense... des affaires étrangères ont été interviewés, ils auraient dit que ceux qui avaient donné ces informations étaient des vagabonds qui se faisaient passer pour des témoins des faits. Et pour éviter qu'on ne me prenne pour un vagabond, j'ai préféré faire une déclaration publique.
M. LE PRÉSIDENT:La question était la suivante : « Est‑ce que vous avez publié ? » Et la réponse c'était : « Oui, un livre et d'autres publications. » Essayez d'être très laconique, parce que Maître Erlinder a de nombreuses questions.
Me ERLINDER :Monsieur le Président, je crois que le témoin a une copie du livre. Je crois qu'une a été envoyée de façon informelle à la présidence... à la Chambre. Donc, on a pu donner des copies à d'autres personnes. On a d'autres copies des articles ou des dissertations qu'il a rédigés et on peut les identifier, et cela peut être distribué dans le prétoire.

M. LE PRÉSIDENT :Le témoin a dit qu'il a rédigé un livre et qu'il a un livre sous les yeux. Est‑ce que vous voulez distribuer d'autres documents ?
Me ERLINDER :Oui.
M. LE PRÉSIDENT :Très bien. Monsieur Matemanga ?

(Le greffier d'audience s'exécute)Écoutez tous, dans le prétoire : Suis‑je le seul qui a un problème avec le CaseView en ce moment ? Nous en avons tous. Madame Ben Salimo, veillez à ce que nous recevions l'aide nécessaire. Je vous remercie.
Me ERLINDER :
Q. Monsieur Ruzibiza, pendant qu'on distribue ce document, je voudrais que vous identifiiez ces deux documents, et après, je pourrai vous poser d'autres questions. Dites‑moi quel était votre grade dans le FPR en 1994 et quel était votre grade quand vous êtes parti, finalement ?
R. En 1994, j'avais le grade de sergent. Et en 2001, lorsque j'ai quitté le pays, j'avais le grade de lieutenant.
Q. Parlons maintenant uniquement du mois d'avril. On va revenir sur d'autres aspects plus tard. Donc, quelles étaient vos attributions au cours cette période‑là — avril 1994 ?
R. En avril 1994, j'étais militaire, comme je vous l'ai dit, et j'appartenais à la branche qui était chargée de faire la reconnaissance — qu'on appelle en anglais combatting intelligence —, et je faisais donc une collecte d'informations avec... en collaboration avec d'autres équipes. Mais s'agissant de l'équipe spécifique à laquelle j'appartenais, nous étions chargés de collecter des informations concernant le terrain sur lequel nous allions nous battre — une fois que nous commencions à nous battre dans la ville de Kigali.
Q. Revenons à cette période spécifique — avril 1994. Dites‑nous les endroits que vous couvriez dans le cadre de la reconnaissance et, autant que vous pouvez, comment cette information faisait l'objet du rapport ?
R. J'étais chargé du sud de la ville de Kigali, soit le quartier de Kicukiro, ainsi que la partie est, soit Masaka et Kabuga, ainsi que la partie où se trouve l'hôpital psychiatrique de Ndera. C'est donc cette zone qui couvre Ndera, Masaka, Kabuga, en passant derrière le camp miliaire de Kanombe par Busanza et « allait » jusqu'à Kicukiro.
Q. Et pour mener vos activités, qu'est‑ce que vous faisiez dans cette zone‑là, et comment faisiez‑vous vos rapports des résultats ou de ce vous voyiez sur le terrain — de façon très générale, s'il vous plaît ?
R. D'habitude, comme cela se fait dans le cadre du renseignement militaire, on s'intéresse à la topographie ; nous nous intéressions donc à la topographie de la ville de Kigali et de ses environs. Ensuite, nous essayions d'identifier les positions des Forces armées rwandaises. Et en troisième lieu, nous essayions de connaître le type d'armes qu'ils avaient à ces différentes positions ainsi que les effectifs des éléments déployés sur ces différentes positions, ainsi que les différentes actions qu'ils menaient, telles que les patrouilles. Et nous avions aussi identifié les différents postes d'observation. Et toutes ces informations étaient transmises au capitaine Hubert Kamugisha qui était notre responsable hiérarchique, et lui‑même faisait rapport au colonel Karake Karenzi qui était l'agent de liaison du FPR au sein de la MINUAR, et les autres informations étaient transmises à Kayonga.
M. LE PRÉSIDENT :Monsieur le Témoin, nous avons une procédure dans cette Chambre. Donc quand vous commencez à donner les noms, il faudrait qu'on en donne l'orthographe. Je ne sais pas si les noms que vous avez mentionnés ont une importance, mais dès que vous commencez à mentionner des noms, il faut qu'on en ait l'orthographe pour le procès‑verbal. Est‑ce que vous aviez donné une liste de noms, Maître Erlinder ?
Me ERLINDER :Comme le Tribunal le sait, nous ne venons que de commencer à préparer ce témoin ; nous avons commencé récemment et on n'a pas eu le temps.
M. LE PRÉSIDENT :
Q. Monsieur le Témoin, est‑ce que vous pouvez nous donner l'orthographe de ces deux noms... Monsieur Ruzibiza ?
R. Je pense que le premier nom que j'ai mentionné était Hubert Kamugisha, et « Kamugisha » s'épelle : K‑A‑M‑U‑G‑I‑S‑H‑A. « Kamugisha ».
M. LE PRÉSIDENT :Très bien. Quand vous donnez l'orthographe, vous devez ralentir. Il ne s'agit pas tout simplement de donner l'orthographe, mais il s'agit de le faire lentement. Donc, s'il vous plaît, faites‑le... faites‑le à nouveau et donnez également l'orthographe du prénom.
R. « Kamugisha » s'épelle : K‑A‑M‑U‑G‑I‑S‑H‑A.
M. LE PRÉSIDENT :Et maintenant, le prénom.
R. « Hubert » s'épelle : H‑U‑B‑E‑R‑T.
M. LE PRÉSIDENT :C'est très bien. Donc, faisons‑le également pour le deuxième nom.
R. J'ai aussi parlé de Karenzi Karake. « Karenzi Karake » s'épelle : K‑A‑R... K‑A‑R‑E‑N‑Z‑I — pour « Karenzi » —, tandis que pour « Karake »... « Karake » s'épelle : K‑A‑R‑A‑K‑E.

M. LE PRÉSIDENT :Il y avait un troisième nom, n'est‑ce pas ?
R. Le troisième nom que j'ai mentionné, c'est « Kayonga » — Charles Kayonga. « Kayonga » s'épelle : K‑A‑Y‑O‑N‑Z‑A.
L’INTERPRÈTE KINYARWANDA-FRANÇAIS :
« Kayonga » : K-A-Y-O-N-G-A — correction de la cabine kinyarwanda.
R. Et le prénom c'est : « Charles ».
M. LE PRÉSIDENT :Très bien. Monsieur Rapp ?
M. RAPP :
Monsieur le Président, ceci concerne la question que nous avons soulevée à huis clos ce matin. Le témoin va de temps à autre mentionner des noms concernant des personnes qui étaient membres du FPR. Et nous suggérons qu'il serait mieux — conformément à l'ordonnance rendue par la Chambre hier après‑midi, en ce qui concerne le fait que les informations concernant des cibles potentielles ne devraient pas être incluses dans des déclarations qui ont été communiquées par le Bureau du Procureur —, lorsque nous traitons de questions concernant les membres du FPR, nous disons tout simplement soit « responsables », soit « membres » de manière générale, sans rentrer dans une situation où nous devons soulever des objections pour des noms spécifiques. Et, ce faisant, cela pourrait empêcher que le Bureau du Procureur n'entame des actions plus tard.
M. LE PRÉSIDENT : Attendez un instant. Cette observation était une observation à caractère général, attirant notre attention sur la procédure à suivre. Mais ce que vous avez dit ne nécessite pas que nous donnions suite à une question quelconque concernant les trois noms ?
M. RAPP :
C'est cela, Monsieur le Président. Nous avons voulu relever ce point pendant que nous parlons des questions générales. Nous n'avons pas de difficulté qu'il parle de la structure de commandement, par exemple, mais lorsqu’il parle d'opérations spécifiques, on pourrait commencer à se trouver devant des situations ou des circonstances où les informations qui ont été caviardées à la demande de la Chambre soient révélées au cours de la procédure. Et nous souhaiterions que cette information ne devrait être... ne « devrait » pas être forcément pertinente pour la cause du Procureur.
Me SKOLNIK :Monsieur le Président, je crois que ce que Monsieur Rapp demande à la Chambre, c'est que la Chambre prenne une décision dans le vague concernant des noms que le témoin pourrait évoquer, parce que tout le monde au Rwanda peut être une cible dans la cause du Procureur. Donc, Monsieur le Président, je ne sais pas s'il faut faire un lien entre ce que dit Monsieur Rapp et ce qu'on constate dans les déclarations qui pourraient relever des cibles... révéler des cibles.

Mme MULVANEY :Monsieur le Président, il y a un point de référence assez simple : S'il y a un nom qui figure déjà dans son livre publié dans le monde entier, nous pourrions continuer sans difficulté, mais si le nom ne figure pas dans le livre, ce serait un problème. Si le nom est déjà dans le domaine public, le témoin a le droit d'évoquer ces noms.
Me OGETTO :Monsieur le Président, pour les besoins du procès‑verbal, Monsieur Rapp a dit que... a parlé des discussions qui ont eu lieu à huis clos ce matin ; je ne suis pas conscient qu'il y ait eu des discussions à huis clos. Peut‑être qu'il faudrait que l'on éclaire notre lanterne sur ce qui a été dit à huis clos pour nous permettre de comprendre.
M. LE PRÉSIDENT :Maître Erlinder et Monsieur Rapp ont rencontré les Juges cinq minutes avant le début de l'audience ; c'est pour cela que je vous ai dit qu'il y a eu un retard ce matin. Donc nous avons discuté de quelques questions, et je donnerai l'occasion à Maître Erlinder de vous faire part de ce qui s'est passé pendant cette séance à huis clos. Ça n'a rien de très, très important, mais cela transparaîtra dans ce que nous dirons dans la Chambre. La question à laquelle nous sommes confrontés maintenant est liée au fait que les noms mentionnés ne nécessitent pas des mesures spécifiques de la part de la Chambre. Puis, Maître Skolnik a dit qu'il faudrait circonscrire cela d'une manière ou d'une autre, et il a fait référence aux déclarations. Et Madame Mulvaney a dit que... peut‑être qu'une meilleure façon de circonscrire le problème, c'est de voir les noms qui sont déjà dans le domaine public. Est‑ce que vous avez une observation quant à cette procédure, Maître Erlinder ? En d'autres termes, il faudrait peut‑être suivre cette procédure chaque fois que le témoin évoque un nom qui n'est pas encore dans le domaine public, qui n'est pas dans son livre, par exemple.
Me ERLINDER :Monsieur le Président, la situation est la suivante : Compte tenu du fait que nous n'avons pas reçu ces communications du Procureur jusqu'à... nous ne les avions pas reçues jusqu'à il y a une… 30 minutes… — bien que nous l'ayons demandé plus tôt —, nous ne voulons pas inclure ici des communications fournies par le Procureur qui pourraient préoccuper le Procureur. Si l'un des noms mentionnés sur le nom (sic) du Procureur est mentionné par ce témoin, cela n'a rien à voir avec les pièces communiquées par le Procureur. La déposition de ce témoin doit être maintenue et acceptée tant que le témoin est en mesure de fournir cette information d'une manière qui l'arrange, en termes de protection des personnes mentionnées. Donc, Monsieur le Président, la... la liste communiquée par le Procureur n'a pas de pertinence avec la déposition de ce témoin.
M. LE PRÉSIDENT :Nous n'avons pas très bien suivi vos explications.
Me ERLINDER :
Monsieur le Président, d'abord, je suis d'accord avec Madame Mulvaney et je suis d'accord avec vous que tous les noms mentionnés dans le livre sont tombés dans le domaine public. Maintenant, le Procureur n'a aucune objection ou n'a aucune base pour soulever des objections. Pour ce qui est des noms qui ne figurent pas dans le livre, le Procureur... n'a pas de base pour soulever une objection quant à la mention de ces noms tels que Monsieur Ruzibiza va les mentionner. Parce que rien, dans les communications du Procureur, concerne la déposition de ces témoins. Les informations communiquées par le Procureur n'ont pas de lien avec ce que va dire ce témoin. Donc, le témoin devrait être en mesure d'évoquer tous les noms librement, sans tenir compte des pièces communiquées par le Procureur, parce que ces pièces n'ont pas eu de lien avec la préparation du témoin. Si Monsieur Rapp veut soulever d'autres questions, à savoir qu'il y a des problèmes de sécurité concernant des personnes qui ne préoccupent pas... dont la sécurité ne préoccupe pas le témoin, nous pensons que ce serait une situation acceptable qu'on pourrait traiter au cas par cas. Si ces noms doivent figurer au procès‑verbal, on peut le faire en utilisant des moyens qui puissent les protéger, par exemple, en les plaçant sous scellés. Mais prendre une décision d'ordre général, comme dit Monsieur Rapp, ne serait pas acceptable. Les pièces communiquées par le Procureur n'ont pas de lien et ne pourraient pas avoir de lien avec la déposition du témoin.
M. LE PRÉSIDENT :Monsieur Rapp ?
M. RAPP :Très brièvement, Monsieur le Président, nous avons une préoccupation essentielle, à savoir que nous sommes dans une audience publique et nous ne voulons pas rentrer dans des détails concernant les déclarations du témoin qui ont été communiquées... qui ont été communiquées à la suite d'une décision rendue par la Chambre, et qui a été déposée après 17 heures. Et ces déclarations ont été caviardées sur la base de la décision de la Chambre. Et nous voulons éviter une situation où des questions ou des faits qui ont été caviardés dans ces déclarations sont à nouveau évoqués devant la Chambre. Il me semble que ces questions n'ont pas de pertinence, étant donné que la Chambre a estimé que ces éléments ne pouvaient pas... ne pourraient pas aider ou favoriser la cause de la Défense d'une manière ou d'une autre.De toute évidence, peut‑être que nous aurons des difficultés ici parce que personne n'a eu l'occasion d'étudier ces déclarations. Mais nous voulons éviter une situation où on veut maintenant remplir les vides laissés dans le document caviardé. Il faudrait voir comment les questions évolueront, mais je veux suggérer tout simplement que nous avons quelques difficultés lorsqu’on épelle des noms qui n'ont pas de lien avec la procédure. Il faudrait peut‑être que le témoin dise simplement « des officiers » ou « des officiers supérieurs » dans cette question, en évitant, si cela n'est pas nécessaire, d'épeler les noms. Deuxièmement : De ne pas révéler des faits, de sorte que, en considérant ensemble les documents caviardés et le transcript, qu'on puisse retrouver les faits qu'on a voulu éviter en caviardant le document. Donc, si la suggestion n'est pas adoptée, nous allons tout simplement attendre de voir comment les choses évolueront.
M. LE PRÉSIDENT :Maître Ogetto ?
Me OGETTO :Oui, Monsieur le Président ?
M. LE PRÉSIDENT :Vous vous souvenez, vous avez posé une question ?
Me OGETTO :Oui, j'ai posé une question, Monsieur le Président, parce que j'étais préoccupé.
M. LE PRÉSIDENT :Oui, je vous communique maintenant l'information suivante : Ce qui se passe, c'est que Maître Erlinder et Monsieur Rapp ont porté à la connaissance de la Chambre ce matin... des Juges ce matin… Donc, vous savez maintenant ce qui s'est passé dans la séance à huis clos avant le début de l'audience, donc rien de vraiment important. Donc, ce que Maître Erlinder a dit, tout le monde le suit maintenant, cela transparaît dans nos discussions.
Me OGETTO :Je comprends cela, Monsieur le Président. Mais la seule question pour laquelle j'ai évoqué ce problème, c'est que cela a une incidence sur la défense de mon client. Ce sont des questions qui vont se poser lorsque je contre‑interrogerai le témoin. Et j'étais préoccupé du fait qu'il y aurait eu des discussions en notre absence qui ont des liens avec la déposition du témoin. Et comme d'habitude, devant de telles situations...
M. LE PRÉSIDENT :Il n'y a pas eu de décision. Il s'agissait simplement d'informer la Chambre d'un problème d'ordre pratique qui pourrait se poser. Et maintenant, le problème s'est posé, c'est aussi simple que cela. Maître Skolnik ?
Me SKOLNIK :Merci, Monsieur le Président. J'ai des difficultés à comprendre certains concepts ou certaines notions évoquées par Monsieur Rapp. D'abord, Monsieur Rapp dit qu'il ne faudrait pas évoquer des noms, il faudrait simplement dire « des officiers » ou « des responsables » de manière générale. Comment pouvons‑nous le faire lorsque nous avons affaire à une instance où le Procureur a fait venir 82 témoins dont certains ont parlé pendant des jours et des jours ? Madame Des Forges a parlé pendant six semaines !
Mme MULVANEY :S'il vous plaît... S'il vous plaît, elle a été contre‑interrogée pendant 90 % du temps.
M. LE PRÉSIDENT :S'il vous plaît, est‑ce que vous pouvez éviter de parler tous les deux ensemble ? Je suis d'accord avec vous. Voici la situation : Maître Skolnik, n'utilisez pas des noms tel que (inaudible), « bavarder ».
Me SKOLNIK :Ce que dit Madame... Ce que dit Monsieur Rapp, c'est qu'il faudrait tout simplement faire référence à des officiers du FPR en disant « des officiers », sans citer des noms, premièrement. Deuxièmement, nous ne savons pas qui sont ces personnes qui figuraient dans les documents caviardés. Donc, si vous voulez, nous sommes lésés parce que nous avons les mains liées. Et nous ne pensons pas qu'il s'agit là d'une solution pratique ou raisonnable, ce que suggère Monsieur Rapp. Il faudrait trouver une autre approche pour aborder la question, Monsieur le Président, et je ne pense pas que sa suggestion que tout le monde doit être désigné par le nom « officier »… J'ai l'impression qu'ils sont en train d'éviter ou de vouloir cacher la responsabilité du FPR ou, tout au moins, de vouloir tenir secret et tenir compte du fait que, puisque nous devons terminer en 2008, il faudrait qu'on puisse éviter de dire certaines choses.
Me TURNER :Monsieur le Président...

(Conciliabule entre les Juges)
M. LE PRÉSIDENT :La Chambre a délibéré. Hier, nous avons rendu une Ordonnance du 8 mars 2006, et nous avons décidé, en vertu de l'Article 68 D), que les documents qui devaient être communiqués à la Défense devaient faire l'objet d'un caviardage. Cela est le point de départ des questions que nous évoquons maintenant. La question qui se pose est de savoir comment donner suite ou comment faire suite... comment appliquer cette décision à une déposition orale. Nous pensons que la décision ou l'approche la plus judicieuse serait la suivante : Monsieur le Témoin, vous avez écrit un livre et d'autres publications. Vous connaissez les noms qui sont déjà dans le domaine public. Si vous faites référence simplement à des noms qui figurent déjà dans votre livre, il n'y a pas de problème, vous allez nous donner l'orthographe des noms, comme nous l'avons demandé très souvent. Maintenant, si vous évoquez des domaines où il y a des noms qui ne sont pas tombés dans le domaine public, par exemple, parce que ces noms ne figurent pas dans votre livre, vous allez le signaler à la Chambre. Vous allez dire à la Chambre que, maintenant, vous êtes en train de faire une déposition qui pourrait conduire à l'identification des personnes dont le nom n'est pas dans le domaine public. Dans ce cas, nous allons adopter la procédure suivante : Vous allez écrire le nom sur une feuille de papier qui sera présentée aux parties, conformément à notre procédure habituelle. Les parties interviendront sur ces noms, et nous rendrons une décision quant à savoir s'il faut rendre ce nom public ou s'il faut appliquer la procédure ou la décision d'hier, c'est‑à‑dire ne pas dévoiler le nom. Voilà la procédure que nous avons arrêtée. Madame... Maître Turner ?
Me TURNER :Monsieur le Président, je ne sais pas si nous pouvons avoir des éclaircissements sur la décision qui vient d'être rendue, parce que la Défense estime que le Procureur a, si vous voulez, mélangé les pommes et les oranges par rapport à la décision qui a été rendue hier. Parce que nous ne voyons pas le lien exact entre cette décision et la déposition du témoin aujourd'hui.
M. LE PRÉSIDENT :Votre question n'est pas très, très claire. Je ne suis pas certain du type d'éclaircissement que vous demandez. Je vais simplement dire qu'hier, nous avons rendu une décision concernant la communication de pièces caviardées. Maintenant, le Procureur a exprimé des préoccupations en disant que nous pourrions avoir ce genre de problèmes, et nous les aborderons au cas par cas.
Me TURNER :Je comprends, Monsieur le Président. Mais comment la Chambre ou le public sauront que les noms mentionnés par le témoin font l'objet de la même exception soulevée par le Procureur, c'est‑à‑dire les éléments caviardés... les éléments qui étaient supprimés du document caviardé ? Comment savoir si le Procureur n'a pas révélé ces noms ?
M. LE PRÉSIDENT :D'abord, le témoin saura... il connaîtra les noms qui sont dans le domaine public, et le Procureur est libre de se lever pour dire : « Nous évoquons maintenant un domaine sensible. » C'est la procédure que nous suivons habituellement. Donc, nous avons les documents caviardés sous les yeux, est‑ce que nous pouvons continuer de cette manière, Maître Erlinder ?
Me ERLINDER:J'ai compris, Monsieur le Président, mais je n'ai pas lu les déclarations caviardées. Ce témoin n'a pas été préparé sur la base de documents caviardés, donc tout ce qui se passe aujourd'hui dans le prétoire n'a pas de lien avec les documents caviardés, parce que nous ne savons pas ce qu'il y a sous les caviardages. Je comprends la décision de la Chambre et nous devons poursuivre sur cette base.
M. LE PRÉSIDENT :Monsieur le Témoin, est‑ce que vous avez bien compris ? Parce que vous êtes directement concerné. Vous savez ce que vous allez dire.
R. (Intervention non interprétée : Microphone fermé)
L'INTERPRÈTE KINYARWANDA‑FRANÇAIS :Micro du témoin.
R. J'ai compris, Monsieur le Président. Mais moi aussi, j'ai un problème à vous soumettre. J'ai été cité par le Conseil de la défense et j'ai... et j'ai cru comprendre que la discussion portait sur la déclaration que j'avais donnée au Procureur en 2003. Cette déclaration ne m'a pas été remise, et j'aimerais qu'on me donne l'autorisation de m'exprimer là‑dessus avant que je ne commence ma déposition, Monsieur le Président. Cette déclaration a été faite par une équipe de huit militaires lorsque nous nous trouvions à Kampala, en Ouganda. Et pour ce qui me concerne, les agents du Bureau du Procureur sont venus m'interroger ; et un mois après notre rencontre, je leur ai indiqué que je ne souhaiterais pas qu'ils utilisent les informations que je leur avais données, parce que cela nous causait des problèmes relativement à notre sécurité. Je me souviens que j'ai parlé à un enquêteur du nom de Mohammed Lejmi, et j'ai constaté que la procédure qu'il avait suivie, ainsi que son collègue Maiga, et d'autres agents du Bureau du Procureur, j'ai eu l'impression qu'ils étaient en train d'acheter les informations auprès de militaires du FPR qui avaient fui le pays. Nous leur avons dit que les informations qu'ils voulaient que nous leur donnions étaient de nature confidentielle, et nous leur avons dit que... nous leur avons dit qu'ils devaient assurer notre sécurité avant que nous ne leur donnions toutes les informations que nous avions. Et ils nous ont dit qu'ils allaient nous chercher des pays d'asile. Mais moi, je n'ai pas cru à ce qu'ils nous disaient, et c'est pour cela que j'ai écrit à quelqu'un qui travaillait au Bureau du Procureur, et je leur ai dit que je ne voulais pas leur donner toutes les informations que j'avais pour ne pas m'exposer. Cela fait trois ans que j'ai fait cette déclaration. Et un mois après ma déclaration, j'ai indiqué à l'enquêteur que je ne voulais pas qu'il se serve des renseignements que je lui avais procurés. Et je considère que la déposition que je vais donner ici devant la Chambre devrait être prise en compte et non celle... la déclaration que j'ai faite en 2003, parce que j'ai prêté serment ici. Donc, c'est ce que je vous demande, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT :Yes.
Me ERLINDER :Monsieur le Président, nous allons demander que les documents soient présentés au témoin, comme il l'a demandé, avant que sa déposition ne se poursuive. Nous pensons que si le Procureur a ce document, il est tout simplement équitable qu'on lui remette les documents.
M. LE PRÉSIDENT :Avez‑vous des observations sur ce point ?
M. RAPP :Monsieur le Président, devant cette situation, nous ne pensons pas qu'il soit indiqué de présenter les documents au témoin à ce stade de la procédure. J'aurais cela présent à l'esprit, que le Procureur est conscient que la protection du témoin est essentielle. Nous n'avons pas voulu que cette déclaration soit communiquée. Et nous avons l'obligation, en vertu de l'Article 68, de communiquer tout ce qui est en notre disposition à la Défense pour des questions relevant de l'Article 68. Vous avez rendu une décision hier, Monsieur le Président, concernant des questions relevant de l'Article 68, et votre décision prime. Il ne s'agit pas ici d'une communication en vertu de l'Article 66, c'est‑à‑dire des informations qu'il faudrait révéler au préalable au témoin. Nous pensons qu'il n'est pas indispensable de lui remettre les documents, à ce stade de la procédure, étant donné que ces documents traitent des questions qui ont déjà été rendues publiques. La distinction ici concerne simplement des noms qui intéressent les enquêteurs, et nous souhaiterions... et nous avons souhaité que ces noms soient supprimés de la déclaration.
Mme MULVANEY :Monsieur le Président, la procédure...
M. LE PRÉSIDENT :Madame Mulvaney, attendez un instant. Il faudrait que nous adoptions une décision pratique maintenant. Monsieur le Témoin, est‑ce que vous pouvez donner l'orthographe des deux noms ? Parce que les sténographes ne sont plus les mêmes, donc donnez les deux noms.
R. Je ne suis pas sûr que ces noms sont exacts, mais la personne s'est présentée comme étant Mohammed Lejmi. Je ne connais pas l'orthographe de ce nom. Il était accompagné d'un autre qui s'appelle Maiga. Mais, en fait, il y avait une équipe de six enquêteurs, mais je n'ai parlé qu'à ces deux‑là dont je viens de vous donner le nom. Maiga est originaire de... du Mali, tandis que Lejmi est tunisien.
M. RAPP :Les noms des enquêteurs sont effectivement dans la déclaration et au niveau où ce n'est pas caviardé, donc on peut donner ces informations.
M. LE PRÉSIDENT :Merci. C'est très utile. Est‑ce que vous avez quelque chose à ajouter, Maître Erlinder, suite à la réaction par rapport à votre requête ?
Mme MULVANEY :Monsieur le Président, avant cela, je dois parler de la pratique dans cette Chambre. Nos témoins, quand ils viennent, nous leur permettons de lire leur déclaration pour rafraîchir leur mémoire. Nous leur parlons de cela. Et je crois que la Défense doit faire la même chose. Donc, il y a un problème d'appartenance dans la... dans ce problème‑là. Le témoin a le droit de regarder ses déclarations. La Chambre a demandé au témoin de ne pas évoquer ces points dans la déclaration. Donc, comment il peut le savoir s'il ne sait pas effectivement ce qui est dans la déclaration ? Donc je crois qu'effectivement, il doit effectivement examiner cette déclaration conformément à la décision de la Chambre.
Me ERLINDER :Je ne pourrais pas être plus d'accord avec la décision de Madame Mulvaney.
M. LE PRÉSIDENT :Je crois que le Procureur ou les membres du Procureur doivent être d'accord sur leur position. Ma question à vous, Madame Mulvaney, est la suivante : Il s'agit là d'une déclaration qui ne vient pas du témoin et qui est adressée au Conseil de la défense, mais c'est en fait... qui est adressée au Procureur. Et souvent, « ce » type de déclarations sont utilisés dans le cadre du contre‑interrogatoire.
Mme MULVANEY :Monsieur le Président, ce témoin est là, donc je crois que dans sa... il a un droit d'appartenance par rapport à cette déclaration, un droit de propriété. Nous avons toujours pensé qu'il n'y a pas de droit de propriété par rapport au témoin. Il est là pour dire sa relation des faits. Vous lui avez dit de ne pas mentionner ce qui est dans la déclaration. Comment pourra‑t‑il suivre votre décision ? Donc, c'est très clair : Nous n'avons pas eu la déclaration, notre équipe n'a pas eu cette déclaration.

Me OGETTO :Pour le procès‑verbal, Monsieur le Président, je crois comprendre ceci : Le Procureur n'a pas d'objection par rapport à la requête de la Défense.
M. RAPP :Je voudrais faire un commentaire. Et de toute évidence, nous sommes dans une situation difficile. C'est quelque chose d'assez complexe qui apparaît dans cette requête. Bon, vous avez tranché là‑dessus hier soir, Monsieur le Président, nous avons travaillé là‑dessus jusqu'à 23 heures hier soir. Nous avons estimé que dans le cadre de notre engagement avec le témoin et sa protection, nous ne pouvions pas communiquer cette déclaration au‑delà de ce qui doit être su. Cela n'a pas été communiqué à cette équipe et cela n'a pas été communiqué à certaines personnes au niveau du Bureau du Procureur. En... En ne communiquant pas cela, on ne pourra même pas utiliser notre moyen de réfutation du témoin. Nous avons dit, dans notre requête d'octobre, que ce serait ça la situation. Dans cette situation particulière, comme vous l'avez mentionné, nous avons eu beaucoup... nous avons suivi beaucoup de dépositions de témoins. Il y a eu, par exemple, les dossiers d'immigration. Et dans votre décision, vous avez dit que cela ne doit pas être communiqué à la Défense. C'est uniquement quand le témoin commence à réfuter ces déclarations que nous pouvons les utiliser potentiellement dans le contre‑interrogatoire... qu'on n'a pas besoin de communiquer ces déclarations avant le début du contre‑interrogatoire. Et je crois que c'est là la décision générale ici. Toutefois, par rapport... par déférence au témoin et pour aider le témoin à se conformer à votre décision — votre décision d'il y a quelques instants —, on n'a pas d'objection à prendre une petite pause pour permettre au témoin... pour examiner la communication caviardée. C'est une déclaration de 16 pages du Bureau du Procureur, et ainsi, on pourra retirer cette déclaration « du » témoin et poursuivre.
Me SKOLNIK :Monsieur le Président, je voudrais intervenir là‑dessus. Je crois que ma collègue Mulvaney a suggéré une solution pratique... c'est une solution pratique, et je veux dire que celle de Monsieur Rapp n'est pas pratique. Si le témoin peut examiner sa déclaration et voir les noms qui figurent là‑dessus, ce sont là les noms dont le Procureur ne veut pas qu'ils soient mentionnés. Ainsi, le témoin saura à qui se référer et qui il ne devrait pas mentionner. Ce sera beaucoup plus facile que de dire que « tout ce qui est dans... ce qui est dans le livre, vous pouvez en parler, et ce qui n'est pas dans votre livre, vous ne pouvez pas en parler », parce que son livre est un si grand livre que même s'il est l'auteur, il peut oublier et faire des erreurs. Et pour ramener cela à ce qui est de la déclaration, il faut qu'on lui donne une copie de sa déclaration non caviardée, qu'il voie les noms qui sont là‑dessus, et on doit lui dire : « Vous ne devez pas parler de ces personnes‑ci en audience publique. » Cela résoudrait le problème.
M. RAPP :Je suis d'accord par... En ce qui concerne cet individu, je crois que sa déclaration ne lui est pas secrète. Mais nous ne voulons pas que la déclaration non caviardée soit donnée à toute autre personne. Donc avec la supervision du Greffe, on peut lui donner autant les déclarations caviardées que non caviardées.
Me ERLINDER :Monsieur le Président, je voudrais intervenir...

(Conciliabule entre les Juges)
Monsieur le Président, je voudrais intervenir brièvement, vous n'aviez pas suivi ma demande de commenter... Si ce témoin reçoit une copie non caviardée, je serais... je pense qu'il est nécessaire qu'un autre Conseil, c'est‑à‑dire moi, ait une déclaration non caviardée pour que j'évalue ce qu'il pense de ce document. Parce qu'à un moment donné, on va proposer des arguments sur les parties caviardées. Et à moins que je « comprends » ce qui est dans ce... dans ces documents‑là, je serais vraiment paralysé pour pouvoir intervenir là‑dessus.
M. RAPP :Ce témoin est maintenant... a maintenant prêté serment, et la décision d'hier pourrait ne pas avoir de pertinence par rapport à la procédure. Je crois qu'il connaît ses déclarations, donc il peut les examiner si le Greffe veut... les lui donne. Et après, la déclaration non caviardée pourra être retirée et il pourra poursuivre.
M. LE PRÉSIDENT :Monsieur le Témoin, ce que nous allons faire maintenant, c'est qu'on va vous donner des copies des déclarations caviardées et non caviardées pour vous rafraîchir la mémoire. Parce que, comme l'a dit Maître Skolnik, ce serait difficile d'utiliser le livre comme point de référence. Donc, nous allons prendre juste une petite pause jusqu'à ce que vous lisiez — cela va prendre environ 15 minutes —, et on va reprendre la session. Il est inutile de dire qu'on ne peut pas suivre la proposition de Maître Erlinder, parce que cela va violer, en fait, la décision qui a trait à l'Article 68. Donc ce n'est que vous qui recevrez ce document. Est‑ce que vous avez des questions, Monsieur le Témoin ?
R. Le seul problème que j'ai, c'est que les discussions entre les deux parties ne me permettent pas d'exprimer ma position là‑dessus. On me pose les questions et je réponds. Et dans ce livre, il y a au moins 450 noms qui apparaissent à l'index.Et, s'agissant de la déclaration que j'ai faite, même s'il y a une... seulement trois ans, je ne peux pas me rappeler les noms qui apparaissent dans ma déclaration et dans mon livre. Et je dois aussi préciser que je suis... je dois préciser que je ne suis pas venu ici pour défendre les Accusés. Je suis venu pour dire ou parler de ce que j'ai vu pendant la guerre. Et je dois aussi préciser que j'ai donné une déclaration au Bureau du Procureur et je n'ai pas fait de déclaration... je n'ai pas donné de déclaration à la Défense. Je pense que vous devriez donc me laisser m'exprimer librement. Mais au cas où je constaterais moi‑même qu'il y a un nom à propos duquel j'ai des inquiétudes, je pourrais peut‑être m'abstenir de le donner publiquement et d'utiliser un autre moyen pour vous le communiquer, éventuellement par écrit. Je vous remercie.

(Conciliabule entre les Juges)

M. LE PRÉSIDENT :Nous prenons bonne note de vos remarques, Monsieur le Témoin. Et nous prenons la pause maintenant.

(Suspension de l'audience : 10 h 15)

(Reprise de l'audience : 10 h 40)
M. LE PRÉSIDENT :Maître Erlinder ?
Me ERLINDER :
Q. Monsieur Ruzibiza, est‑ce que vous avez eu l'occasion de revoir la copie des versions caviardées et non caviardées qu'on vous a remise ?
R. Oui, j'ai la déclaration.
Q. Vous voulez donc poursuivre votre déposition maintenant ?
R. Oui.
Q. Il sera peut‑être difficile pour nous de nous souvenir où nous étions avant la suspension, mais vous étiez en train de parler de certaines missions que vous effectuiez à Kigali au début du mois d'avril. Et l'un des endroits que vous avez mentionnés, c'était Musaka (sic) ; je ne sais pas si vous avez eu l'occasion d'aller à Masaka régulièrement pendant la première semaine d'avril ?
R. Je suis allé à Masaka. Mais je n'avais pas bien compris ce qu'avait dit le Président. Je ne sais pas si le Président m'a autorisé de donner tous les noms librement dans ma déposition. J'aimerais qu'on me donne des explications là‑dessus.
Q. Monsieur le Témoin, ma question ne portait pas sur des noms, à ce stade. Je voulais simplement que vous expliquiez vos déplacements sur Masaka dans le cadre de vos tâches. Nous allons parler des faits qui sont survenus à un autre moment.
R. Oui, je me suis rendu à Masaka.
Q. Est‑ce que cela faisait partie de vos tâches habituelles ?
R. Oui.
Q. Est‑ce que vous y alliez souvent ou très souvent ? Est‑ce que vous rendiez compte souvent de ce que vous constatiez ?
R. Je devais aller à Masaka chaque jour entre 6 heures et 8 heures ; donc, parfois à 6 heures, parfois à 7 heures ou à 8 heures. Mais je m'y rendais quotidiennement.
Q. Et pourquoi vous rendiez‑vous à cet endroit pendant cette période‑là ?
R. Nous cherchions à localiser les positions des militaires de l'armée rwandaise autour de la ville de Kigali. Et Masaka était situé sur une colline, et nous devions contrôler cette colline pour vérifier les mouvements de l'ennemi, pour voir s'il n'y avait pas de patrouilles ou s'il n'y avait pas de nouvelles positions qui y étaient installées. Et après nos enquêtes, nous avons constaté qu'il n'y avait que des patrouilles pendant la journée et qu'ils ne faisaient pas de patrouilles pendant la nuit. Et c'est pour cela que je m'y rendais le soir.
M. LE PRÉSIDENT :Monsieur le Témoin, la référence à 6, 8 heures, c'était le matin ou l'après‑midi... ou le soir ?
R. Non, c'est dans la soirée. Donc c'est 18 heures à 20 heures.
M. LE PRÉSIDENT :Oui, ce n'était pas clair dans votre réponse. Question suivante.
Me ERLINDER :
Q. Monsieur le Témoin, est‑ce que vous étiez en mesure... Est‑ce que vous avez pu observer l'incident de la chute de l'avion présidentiel lorsque vous étiez à Masaka ?
R. Oui, Maître.
Q. Pouvez‑vous indiquer, à l’attention de la Chambre, ce que vous avez vu ?
R. Comme je l'ai déclaré, j'étais chargé de me rendre à Masaka, et je devais donner rapport chaque jour concernant les activités de l'ennemi. Et j'ai vu une camionnette qui... à bord de laquelle se trouvaient les militaires du FPR, et ces militaires avaient des missiles de marque SAM 16. Ces militaires sont arrivés, ils m'ont trouvé à l'endroit où je me trouvais, et c'était aux environs de 20 h 30. L'avion était sur le point d'atterrir et ils ont tiré deux missiles. Et le premier missile n'a pas touché... a touché l'avion sur l'aile, et le deuxième missile a abattu l'avion. C'est à ce moment‑là que l'avion est tombé ; et entre les deux coups, il y avait une période d'environ 3 à 4 secondes.
Q. Sommes‑nous d'accord que ces incidents sont survenus le 6 avril dans la soirée ?
R. Oui, c'était le 6.
Q. Monsieur le Témoin, avez‑vous... aviez‑vous reçu des informations avant le 6 qui pouvaient vous amener à penser qu'on pouvait abattre l'avion présidentiel ultérieurement ? Si oui, veuillez expliquer ce que vous avez appris avant le 6 qui vous a amené à le penser.
R. En fait, puisque le Président Habyarimana était notre ennemi, il était évident que nous devions le tuer. Et pour ce qui est du jour exact, je l'ai appris deux jours avant et je pense que c'était le 3 ; c'est à cette date que je l'ai appris. Je l'ai appris d'un militaire qui s'appelle Aloys Ruyenzi, qui était chargé des renseignements, et il faisait partie des gardes du corps du Président Kagame — « Ruyenzi » s'épelle : R‑U‑Y‑E‑N‑Z‑I. Quand il m'a donné cette information, nous nous trouvions au CND.
Q. Monsieur le Témoin... Monsieur Ruzibiza, lorsque vous avez reçu cette information, est‑ce que vous avez eu une confirmation de cette information ? Si oui, veuillez expliquer comment.
R. Par la suite, j'ai posé cette question à mon supérieur qui s'appelait Hubert Kamugisha — je vous ai déjà donné son nom — et je lui ai demandé s'il connaissait l'information et ce que nous devions faire au sein de notre équipe au cas où cela se produirait. Il m'a dit que la décision de tuer le Président avait été prise. Toutefois, il m'indiquait que nous devions continuer à travailler normalement parce qu'il n'était pas sûr qu'ils allaient réussir leur mission.
Q. Est‑ce que le FPR a donné une alerte quelconque avant le 6, ou alors est‑ce qu'on a imposé une certaine situation aux éléments... aux troupes avant le 6 ?
R. J'ai appris par la suite qu'à partir du 1er avril 1994, les troupes du FPR « s'étaient » en alerte. Mais à partir du 4, on est passé à ce qu'on appelle « stand-by class one », cela veut dire qu'ils étaient en alerte comme s'il y avait... il allait y avoir des combats dans un avenir très proche.
Q. Et du point de vue du militaire, lorsqu'on dit « stand-by class one », qu'est‑ce que cela signifie pour un militaire du FPR, s'agissant de ce qui pourrait se passer par la suite ?
R. Quand on parle de « stand-by class one » — tel est le terme que nous utilisions au sein de l'APR —, donc cela voulait dire que nous devions être prêts à tout instant, à partir du moment où l'alerte était donc donnée.
Q. Vous deviez être prêts pour quoi ? En attente de quoi ?
R. Nous devions être prêts à combattre l'ennemi. Et à ce moment‑là, l'ennemi, c'était l'armée gouvernementale.
Q. Est‑ce que, par la suite, vous avez pu obtenir des renseignements sur ce qui s'est passé le 5, ou ce qui ne s'est pas passé le 5, auprès de vos supérieurs au sein du FPR ?
R. D'habitude, il y a une chaîne de commandement au sein de l'armée. C'est ainsi que les instructions sont données dans l'armée. Donc, ce n'est que par ce canal que je pouvais connaître les informations. Et j'ai appris cette information de mon supérieur hiérarchique, le capitaine Kamugisha, qui était le chef de notre équipe de reconnaissance — je vous ai déjà donné ce nom de Kamugisha et je vous en ai donné l'orthographe.
Q. Oui, merci, Monsieur le Témoin, nous avons déjà ce nom.Est‑ce qu'il vous a parlé des événements qui auraient dû se produire le 5 ou des renseignements sur la journée du 5, en ce qui concerne le Président Habyarimana ?
R. Je vous ai déjà déclaré qu'il m'avait confirmé avoir reçu l'information, mais qu'il n'était pas sûr que cette information... cette mission allait réussir. Et le 4, on nous a dit de nous mettre en stand-by class one, comme je vous l'ai dit. Et à partir de ce moment, nous devions être en contact permanent avec nos supérieurs, que ce soit personnellement ou par radio. Et donc, à partir de cette date, j'ai été en contact radio avec lui. Je ne sais pas si j'ai bien compris votre question, Maître.
Q. Merci, Monsieur Ruzibiza. Est‑ce que vous avez eu des renseignements sur le déplacement du Président, aller et retour du Congo, de qui que ce soit ?
R. Personnellement, je n'ai pas appris que le Président devait se rendre au Congo. Je l'ai appris après, et c'est Hubert Kamugisha qui m'en a parlé. Il m'a dit que : « Nous avons raté cet imbécile », et il s'est exprimé en swahili. Et je lui ai demandé des explications et il m'a dit qu'il y avait un plan selon lequel les militaires de l'APR devaient tirer sur le Président à son retour du Congo, mais que, malheureusement, il était revenu plus tôt que prévu et que nous l'avions raté. Et c'est le lendemain que nous avons eu la chance de pouvoir tirer sur son avion.
Q. Avez‑vous eu un entretien avec vos autres camarades du FPR sur l'assassinat du Président Habyarimana et ce que cet assassinat représentait en termes de préparation pour la guerre ?
R. La question n'est pas claire, Maître.
Me ERLINDER :
Oui, Monsieur le Président.... Monsieur le Témoin, cela ne me semble pas clair non plus, à moi-même.
Q. Est‑ce que vous avez eu l'occasion de discuter ou d'avoir des impressions quelconques sur ce qui pourrait arriver après l'assassinat du Président Habyarimana, du point de vue militaire ?
R. J'ai dit que nous étions en stand-by class one, donc nous étions prêts à partir au combat à tout moment. Et donc, vous comprenez qu'après la mort du Président, les combats devaient reprendre. Je recevais les informations du CND, parce que c'est là que se trouvait le poste de commandement. Donc, à ce moment‑là, j'étais prêt ; je me disais que si jamais cela arrivait, si le Président venait à mourir, les combats allaient reprendre immédiatement.
Q. S'agissant de la nuit du 7 au 6... du 6 au 7 et de la matinée du 7, est‑ce que vous avez eu des renseignements concernant les déplacements des troupes du FPR en rapport avec la chute de l'avion présidentiel ? Si oui, veuillez expliquer à la Chambre.
R. Après la chute de l'avion présidentiel, donc après 20 h 30, à ce moment‑là, il y avait un match dans le cadre de la coupe d'Afrique ; je pense que c'était le match final. Et à Mulindi, les militaires suivaient le match à la télévision dans une salle commune. Et mes collègues à qui j'ai pu parler m'ont dit que, même avant la fin du match, on leur a donné l'ordre de sortir ; on a demandé aux commandants de sortir. Et chaque commandant savait ce qu'il avait... ce qu'il allait faire. Et 30 minutes après, tous les bataillons de l'APR, sauf celui de Charlie qui se trouvait à Ruhengeri, tous les autres bataillons étaient prêts au combat. Donc tous les bataillons avaient déjà quitté Mulindi 30 minutes après que la nouvelle ait été annoncée.
Q. Cela signifie‑t‑il que le FPR a commencé à lancer une offensive militaire vers 9 heures dans la nuit du 6 ? C'est ce que vous avez dit ?
R. Non. Ce n'était pas à 21 heures précises, c'était quelques minutes après 21 heures. Toutes les unités ne sont pas parties en même temps, cela dépendait de leur destination finale.
Q. Nous sommes d'accord que c'était dans la nuit du 6, Monsieur le Témoin ?
R. Peut‑être je devrais donner... je devrais donner plus de détails à ce sujet, Maître, si vous me le permettez.
Q. C'est votre déposition, Monsieur le Témoin.
R. L'APR avait huit unités mobiles. Il y avait l'unité Alpha, l'unité Bravo, l'unité Charlie, le... la 7e unité mobile ; il y avait la 21e unité mobile ; il y avait l'unité n° 101 et il y avait également l'unité n° 51 et l'unité 71. Et ces unités étaient composées d'environ 2 000 hommes.
Me ERLINDER :
Monsieur le Témoin, nous avons un tableau qui a été distribué à la Chambre… Non, il y en a deux, le deuxième est en train d'être distribué, donc je ne connaissais pas vraiment l'ordre. Si on peut le distribuer maintenant, ce sera facile que les gens comprennent ce dont vous parlez.
Mme MULVANEY :Monsieur le Président, je ne sais pas jusqu'où on peut aller là‑dedans. Je crois que la dernière réponse n'est pas pertinente dans notre preuve. Je crois que la Chambre a rendu la décision sur ce qui est pertinent et sur ce qui ne l'est pas. Je ne voudrais pas qu'on aille beaucoup trop loin ; c'est ce que je veux dire à la Chambre.
M. LE PRÉSIDENT :Non, cela découle de notre décision qu'on ne va pas rentrer dans des détails inutiles. Est‑ce qu'il s'agit là de détails nécessaires, Maître Erlinder ?
Me ERLINDER :Monsieur le Président, du point de vue de la Défense, non. Je crois que nous l'avons dit dans notre mémoire préalable au procès — je crois que c'est en décembre —, il y a 18 mois, nous avons dit que la différence au niveau des forces entre le FPR et les forces du gouvernement, ça fait un point important pour comprendre la tragédie du Rwanda. Ce témoin a des informations de première main en ce qui concerne les forces du FPR et du point de vue du FPR, et cela est important pour notre preuve. Et en donnant ce croquis, on peut raccourcir le procès. On n'a pas besoin de prendre un temps supplémentaire avec des explications.
M. LE PRÉSIDENT :C'est très bien. Et quand vous le faites, nous nous souvenons qu'on a déjà des dépositions là‑dessus.

Me ERLINDER :Pas du point de vue du FPR ; il n'y a pas eu (inaudible) informations là‑dessus.
M. LE PRÉSIDENT :Je ne veux pas engager une polémique là‑dessus maintenant, Maître Erlinder.
Me ERLINDER :Il y a ce qui figure dans le procès‑verbal.
M. LE PRÉSIDENT :Je me souviens parfaitement de ce qui est dans le procès‑verbal. Maître Erlinder, ce que je vous dis, c'est ceci : N'allez... ne rentrez pas trop dans les détails, comme vous venez de le dire vous‑même.
Me ERLINDER :Je suis tout à fait d'accord, Monsieur le Président.
Q. Monsieur le Témoin... Monsieur Rizibiza, est‑ce que vous avez un croquis sous les yeux, une carte qui montre les endroits où se trouvaient les unités du FPR ?
R. Oui, Maître, j'ai le diagramme devant moi.
Q. Nous allons l'utiliser pour raccourcir votre déposition. Donc, indiquez tout simplement à la Chambre le lien entre cette carte et votre déposition. Donc essayez d'être concis pour qu'on utilise efficacement le temps de la Chambre. Évitez de nous donner un luxe de détails, juste ce qui convient.
R. Sur ce diagramme, j'ai représenté les huit... les huit unités de l'APR. Et il y a trois... Il y a l'axe de l'est du Mutara, et il y a également Ruhengeri et Gisenyi. Et vous voyez le bataillon 157 et le bataillon 7 ; ces deux bataillons sont partis immédiatement après que la nouvelle de la chute de l'avion présidentiel ait été annoncée à Mulindi. Et le 21e bataillon, et le bataillon 101, et le bataillon Bravo, Alpha, et le bataillon 51 ainsi que le bataillon de la police militaire devaient se rendre à Kigali. Et avant leur départ, ils devaient recevoir des informations de la part de Son Excellence Kagame, et ils devaient le rencontrer à Miyove. Et donc, ces unités ne sont pas parties tout de suite ; et c'est la seule unité de Charlie qui n'était pas sur les lieux à ce moment‑là. Mais sinon, toutes les autres unités sont parties de Mulindi après l'annonce de cette nouvelle.
Q. Monsieur le Témoin, pour le procès‑verbal : Les huit bataillons mobiles ou unités mobiles dont vous avez parlé, cela est indiqué par les rectangles avec un « X » au milieu ? Et éventuellement, les guillemets qui sont là‑dessus, il s'agit là effectivement de Byumba, de Ruhengeri ; c'est de ça que vous parlez ?
R. En réalité, les symboles que j'ai utilisés sont des symboles conventionnels dans les sciences militaires, et un rectangle avec un « X » à l'intérieur représente une unité d'infanterie. Quant aux lignes qui apparaissent au‑dessus de ces petits rectangles, cela correspond aux effectifs. Et j'ai toujours mis trois petits traits pour montrer que ces unités étaient d'une taille légèrement supérieure à celle d'un bataillon conventionnel.
Q. Combien d'hommes avaient ces unités‑là ? Donc, combien d'hommes avait le FPR prêts pour engager le combat, à ce moment‑là ?
R. Je l'ai déjà dit, et chaque unité comptait au moins 2 000 hommes. Parce qu'il y en a, parmi ces unités, qui comptaient jusqu'à 2 200. Mais il y avait aussi deux autres unités, qui étaient appelées « bataillons », et qui étaient de la taille conventionnelle ; je veux parler du 3e bataillon qui était au CND, ainsi que le bataillon de la police militaire. Ces deux unités étaient appelées « bataillons », mais les autres unités étaient ce qu'on appelait « mobiles », parce qu'ils avaient plus d'effectifs qu'un bataillon conventionnel. Quant au bataillon… le 3e bataillon du CND, il était composé de 600 hommes, et le bataillon de la police militaire était également composé de 600 hommes. Il y avait aussi une autre unité qui était chargée de la protection de Kagame. Et au total, l'APR comptait jusqu'à 20 000 hommes. Mais à cette occasion, seulement 19 000 personnes sont allées participer au combat dès l'annonce de cette information.
Q. Très bien. Monsieur le Témoin, donnez‑nous une réponse concise, de façon générale. On peut entrer dans les détails, si nécessaire. Je sais que la Chambre l'appréciera tout particulièrement. Faisons cela de cette façon et on ira plus vite. Il y a d'autres mentions sur la carte à d'autres endroits. On a également là des rectangles et des numéros sur ces rectangles. Donc, en termes très généraux, dites‑nous ce que cela représente.
R. Cela correspond aux différents secteurs opérationnels de l'armée rwandaise qui faisaient face aux éléments du... de l'APR. Et les chiffres que j'ai indiqués sont une approximation des effectifs des Forces armées rwandaises qui faisaient face aux éléments de l'APR.
Q. Est‑ce que vous vous souvenez du total... du nombre total, approximativement ?
R. Je pense qu'ils doivent être autour de 13 ou 14 000 hommes.
Q. Parmi ces 13 à 14 000 hommes, sur la base de ce que vous connaissiez en ce qui concerne la structure des FAR, environ combien étaient vraiment formés pour être des forces de combat ?
R. Les chiffres que j'ai donnés dans ce diagramme correspondent aux effectifs qui étaient prêts au combat. Mais, à en juger par la structure des bataillons de l'armée rwandaise, on peut en conclure que ceux qui pouvaient effectivement participer au combat pouvaient être évalués à 10 000.
Q. On va éviter trop de détails, Monsieur le Témoin. Donc, étant donné ce nombre d'hommes et le fait qu'on savait que la guerre commencerait après qu'on ait abattu la... l'avion présidentiel, alors, comment est‑ce que le crash de l'avion avait un trait... avait un lien — plutôt — avec le plan de guerre que suggère ce croquis ? Donc, du point de vue militaire, en fait, quel est l'effet de l'assassinat du Président sur les événements ultérieurs ?
R. La question n'est pas claire, Maître.
M. LE PRÉSIDENT :
Q. Est‑ce qu'il y avait un lien entre, d'un côté, le fait que l'avion soit abattu et, de l'autre côté, le positionnement de ces forces ?
Me ERLINDER :Monsieur le Président, avec le respect que je vous dois, c'était une question différente.
M. LE PRÉSIDENT :C'est très proche, et je crois que le témoin peut répondre à la question.
R. Je ne vois pas de rapport entre les deux faits, parce que ces forces étaient déjà positionnées à ces endroits avant qu'il n'y ait l'attentat contre l'avion présidentiel. S'agissant de la taille des différentes unités, cela se... ferait l'objet d'une autre explication.
Me ERLINDER :
Q. Revenons à ce sujet. Vous avez parlé de la dimension des différentes unités. De votre point de vue, au niveau du FPR, quelle était l'impression du... du FPR par rapport à leur capacité de gagner la guerre, étant donné les forces que... dont vous avez parlé, et étant donné d'autres choses que vous et d'autres membres du FPR avez observées, à l'époque ?
R. À partir du mois de février 1993, le FPR s'était renforcé et il était conscient qu'il pouvait même prendre tout le territoire national. Je pense que c'est là une réponse claire.
Q. Entre février 1993 et avril 1994, êtes‑vous au courant d'actes de préparation de guerre qui avaient lieu du côté du FPR ?
R. Les préparatifs existaient depuis longtemps. Et à partir de 1993, au mois de février, même s'il y avait un cessez‑le‑feu… Chaque fois qu'il y avait un cessez‑le‑feu, c'était une occasion pour le FPR de se préparer aux combats qui allaient suivre ultérieurement.
Q. Est‑ce que vous avez joué un rôle quelconque dans le cadre de ces préparatifs ? Et, si tel est le cas, donnez‑nous des détails.
R. J'étais un militaire de rang inférieur et je ne pourrais pas dire que j'ai eu à assumer effectivement un rôle, mais j'ai participé à certaines actions qui laissaient penser qu'il y avait des préparatifs à la reprise des hostilités.
Q. Donnez‑nous quelques exemples, s'il vous plaît — juste quelques‑uns.
R. Le premier exemple que je vous donnerais, c'est qu'après la signature des accords... d'un accord de cessez‑le‑feu, à partir du mois de février 93, j'ai été intégré dans un groupe qui était chargé de cacher les armes qui seraient utilisées lors de la reprise des hostilités, pendant la bataille finale pour la prise de tout le pays. Par ailleurs, j'ai été intégré dans l'équipe qui était chargée de la reconnaissance, et la reconnaissance n'est destinée qu'à la reprise des hostilités. Et le troisième élément que je pourrais citer, c'est l'assassinat du Président de la République. Je pense que ce sont là des éléments assez éloquents.
Q. Je voudrais, en fait, revenir aux exemples que vous avez mentionnés en termes généraux. Vous avez parlé de la constitution de stocks d'armes et de matériel de guerre après le cessez‑le‑feu de février 1993 ; est‑ce que vous avez des exemples précis ? C'est‑à‑dire, le... le fait qu'on ait amené des armes au Rwanda pour préparer la guerre, et puis le fait de les cacher, est‑ce que vous pouvez nous en parler ?
R. Après l'attaque du 8 février 1993, je faisais partie de l'unité 51... ou plutôt 59. Et j'ai été muté de cette unité pour aller faire partie de l'équipe qui devait aller cacher ces armes en provenance de l'Ouganda, que nous cachions dans la commune de Butaro, dans une localité appelée Nyabishanga (sic). C'est donc à cette équipe que j'ai appartenu avant de rejoindre l'unité de reconnaissance. Et j'ai donc eu l'occasion de voir ces armes lorsqu'elles sont entrées au Rwanda.
Q. Est‑ce que vous pouvez nous donner une idée de la quantité des armes, en fait, sur la base de ce que vous saviez et sur la base de ce que vos collègues vous ont dit ?
L'INTERPRÈTE ANGLAIS‑FRANÇAIS :Les interprètes n'ont pas suivi le début de la question ; elle était couverte.
R. Vous voulez parler des armes que nous utilisions ou les armes que nous devions dissimuler, Maître ?
Q. Monsieur le Témoin, je parle du nombre d'armes et de munitions que vous cachiez. Donc, quel était le nombre ? Et puis, quelle était l'intensité de cet effort‑là ?
R. Nous avons seulement caché les munitions et les obus. Mais, s'agissant des armes que les militaires utilisaient, elles sont restées à la disposition des militaires.
Q. Donc, quelle était la dimension du dépôt de munitions que vous aviez ?
R. Je vais seulement parler de l'endroit où je me trouvais, dans la commune de Butaro. Et même si je n'ai pas fait un recensement exhaustif, mais il y avait un matériel qui aurait pu peser jusqu'à 100 tonnes, ou même jusqu'à 120 tonnes de matériel.
Q. Est‑ce qu'il y avait d'autres sites de la même nature dont vous... vous avez entendu parler ?
R. Oui, il y a deux autres endroits dont j'ai entendu parler. Il y a, par exemple, Kaniga, qui se situe près de la frontière de Gatuna, vers l'Ouganda. Il y avait aussi Karama, dans le Mutara. Mais, s'agissant de ces deux endroits, je dois préciser que je n'y ai pas été personnellement ; il s'agit d'informations que j'ai recueillies de collègues.
Me ERLINDER : Je comprends effectivement que vous êtes prudent, Monsieur le Témoin.
Peut‑être qu'on peut faire figurer ces noms qui n'ont pas été mentionnés dans le procès‑verbal ? Je crois que l'un, c'était au niveau de la commune de Butaro : B‑U‑T‑A‑R... B‑U‑T‑A‑R‑O. Je vais demander au témoin de donner l'orthographe du deuxième nom. Je crois que c'était Kinya... Kinyabishenga (sic). Je suis certain que j'ai mal prononcé, mais le témoin me corrigera.
R. Il s'agit de Kinyabishenge, qui s'épelle : K‑I‑N‑Y‑A‑B‑I‑S‑H‑E‑N‑G‑E. « Kinyabishenge ».
Q. Nous avons également « Kaniga ».
R. « Kaniga » s'épelle : K‑A‑N‑I‑G‑A.
Q. Gatuna ?
R. « Gatuna » s'épelle : G‑A‑T‑U‑N‑A.
Q. Ruganga, je crois que c'était le nom suivant... plutôt Karamba (sic) — je suis désolé ?
R. J'ai plutôt parlé de Karama. Et « Karama » s'épelle : K‑A‑R‑A‑M‑A.
Q. Et Ruganga ?
R. À ma connaissance, j'ai pas parlé d'autres noms
Q. (Intervention non interprétée)
R. Oui, et Karama se situait dans la région de Mutara. Et j'ai aussi dit que Karama se... plutôt, que Kaniga se trouvait près de Gatuna, et que Kinyabishenge se trouvait dans la commune de Butaro.
Q. Je vais revenir sur un point qu'on a déjà évoqué et qu'on a laissé pendant quelque temps : C'est le lien entre le fait que l'avion présidentiel soit abattu et le plan de guerre du FPR, et la conséquence du fait que l'avion présidentiel soit abattu, en ce qui concerne la capacité du... des forces gouvernementales à réagir à l'avancée militaire du FPR. Comment l'assassinat du Président a‑t‑il affecté la... la capacité du Gouvernement rwandais à résister à la... à l'offensive du FPR ?
R. (Intervention non interprétée)
M. LE PRÉSIDENT :
Q. La première question, Monsieur le Témoin : « Est‑ce que cela a effectivement affecté… ? » ; donc, la question doit être ouverte. Est‑ce que vous pouvez répondre ?
R. Oui, l'assassinat du Président de la République a eu des conséquences sur la capacité des forces gouvernementales à faire face à l'avancée du FPR.
Q. Comment ?
R. Le Président de la République était le commandant suprême de l'armée rwandaise ; il avait le grade de général dans l'armée, il était un leader politique, et c'est lui qui était le symbole de l'unité nationale. Et, mis à part cela, il est mort avec le chef d'état‑major de l'armée. Et je pense que ces deux seuls éléments devaient déstabiliser l'armée gouvernementale dans sa capacité de combat.
Me ERLINDER :
Q. Est‑ce que vous savez si cela a eu un succès par rapport à la capacité des FAR à résister à l'avancée ?
R. Oui. Vous vous rappelez qu'après le 6 avril, après l'assassinat du Président de la République, il n'y a pas eu de commandement militaire qui serait susceptible de pouvoir faire face à l'APR. Et même le commandement qui a été mis en place a été remplacé immédiatement après.
Q. Quand vous parlez du commandement, vous parlez du commandement des Forces armées rwandaises — pour que cela soit clair ?
R. Parce que, dans l'attentat contre l'avion présidentiel, le général Déogratias Nsabimana — qui était chef d'état‑major — a lui‑même péri, et c'est lui qui dirigeait les opérations. Et après sa mort, son remplaçant, en la personne de Marcel Gatsinzi, n'avait pas de capacités opérationnelles ; il n'est pas resté longtemps à ce poste, et il n'a donc pas eu l'occasion de pouvoir réellement planifier les combats contre le... l'APR.
Q. Monsieur le Témoin, au moment où l'avancée du FPR a commencé, dans la nuit du 6, qu'est‑ce qui se passait à Kigali, pour autant que vous le sachiez ? On peut également aller jusqu'au 7.
R. Le 6 avril, il n'y a eu rien de particulier parce que les éléments du 3e bataillon sont restés dans les locaux du CND jusqu'au lendemain, le 7 avril. En réalité, ces éléments qui étaient basés au CND n'ont pas eu à mener des combats en cette date du 6 avril.
Q. Est‑ce que vous savez à quelle... à quelle heure ils sont... ils sont partis, le 7 ? Je parle de... du fait qu'ils soient allés faire des patrouilles avant l'annonce officielle de la guerre, dans l'après‑midi du 7.
R. Au 7 avril, le 3e bataillon était composé de six compagnies. Et à 16 heures, quatre de ces compagnies sont sorties pour aller commencer les combats. Et c'est donc à cette heure... à 16 heures que les hostilités ont formellement « reprises ».
Q. Combien de temps avant cette heure‑là la décision… ou l'ordre d'engager l'avancée militaire avait été donné ? Donc, je voudrais qu'on ait vraiment un... un ordre assez cohérent là‑dessus.
R. Je n'en ai aucune idée. Je ne faisais pas partie du commandement pour avoir l'accès à une telle information.
Q. On parlait donc de ce qui se passait à Kigali...
Me ERLINDER : Monsieur le Président, avec l'autorisation de la Chambre, je sais qu'on a traversé l'heure de la pause, mais je sais qu'on a déjà eu une pause avant. Donc, je suis entre les mains de la Chambre.
M. LE PRÉSIDENT :Je souhaite que vous continuiez.
Me ERLINDER :Merci, Monsieur le Président. Monsieur le Témoin, je voudrais passer à autre chose pendant quelque temps ; ainsi, les personnes qui sont dans le prétoire et dans la galerie... dans la galerie vont comprendre comment on est arrivé au 8 avril 1994. Et je veux le faire brièvement, même si c'est important. Mais votre livre va faire partie du procès‑verbal ; on va expliquer cela en termes généraux et le livre va combler les lacunes.
Q. Donc, à quel moment vous êtes‑vous engagé, premièrement, dans les activités militaires avec le FPR ? Et où était‑ce ?
R. Au mois d'octobre, en 1990.
Q. Avez‑vous eu l'occasion de voir un changement dans la stratégie militaire du FPR, au cours des premiers mois de votre engagement ?
R. Il y avait, chaque fois, des changements. Mais, au départ, j'étais un militaire de rang inférieur, et mon statut ne me permettait pas de comprendre la stratégie appliquée par le FPR. Mais, pour ce qui est des changements de stratégie, ils étaient opérés régulièrement.
Q. Ce dont je parle précisément, c'est ceci : Est‑ce que le concept de guerre conventionnelle et de guérilla faisait partie de la stratégie ou des débats sur la stratégie au niveau du FPR, ou alors... — je parle des choses que vous avez pu vous‑même observer ?
R. La guerre conventionnelle a été appliquée en 1990 à... lorsque les forces du FPR ont envahi le pays. Mais, après octobre 1990, la situation a changé et on n'a plus suivi la tactique de guerre conventionnelle.
Q. Pouvez‑vous... Pouvez‑vous décrire les tactiques qui ont été adoptées ? Et est‑ce qu'on pouvait voir les résultats de telles stratégies ?
R. La guerre conventionnelle n'était pas pratique parce... à cause du nombre limité des effectifs et du peu de matériel. Et la guérilla était plus appropriée parce qu'on devait se battre contre un ennemi qui était plus équipé et qui, par conséquent, était plus fort.
Q. Pouvez‑vous donc expliquer ces méthodes de guérilla pendant la période 91‑92 ? Choisissez une période quelconque et expliquez ce que le FPR faisait pour mettre en pratique cette tactique de guerre.
R. C'est aux mois de novembre et de décembre 1990 que nous avons commencé à appliquer la technique de guérilla. Donc, nous faisions des attaques spontanées et nous retournions en Ouganda.
Q. Est‑ce que l'idée d'infiltration, c'est‑à‑dire l'envoi de combattants dans les zones civiles, est-ce que cela faisait partie des... de la guérilla ? Veuillez expliquer, de manière détaillée, la guérilla.
M. LE PRÉSIDENT :Est‑ce que vous pouvez éviter ces questions orientées, Maître Erlinder ? Répondez, Monsieur le Témoin.
R. Je ne comprends pas bien la question.
M. LE PRÉSIDENT :La question sera reformulée.
Me ERLINDER :Merci, Monsieur le Président.
Q. Quelle étaient les méthodes... la méthode d'utilisation de violence contre les civils, si c'était le cas, dans le cadre de la guérilla menée par le FPR, à ce moment‑là ?
R. Je me trouvais dans le nord‑est, donc, c'était au Mutara. Et la population était composée de Hutus qui ne comprenaient pas les objectifs du FPR, et il était très difficile d'infiltrer cette population.
Q. Pouvez‑vous expliquer, de manière détaillée, les tactiques que vous avez utilisées dans cette situation ?
R. Nous lancions nos attaques de nuit parce... pour éviter que les habitants de cette région ne donnent l'alerte. C'était ça, la première tactique.
Q. Et quelles étaient les cibles de vos attaques ? Citez un éventail de cibles en exemple.
R. Cela dépendait, mais souvent, nous... nos cibles étaient les... les troupes de l'armée gouvernementale. Mais, des fois, il arrivait que nous faisions des victimes civiles.
Q. Comment est‑ce que la notion de déstabilisation de l'ennemi ou de la population civile était liée à votre tactique de guérilla, s'il y a eu un lien entre les deux ?
R. Je vous ai dit que nos cibles étaient surtout les camps militaires. Mais parfois, nous posions des mines contre les véhicules militaires. Et nous lancions nos attaques de nuit. Et quand les habitants d'une région donnée cherchaient... voulaient résister, nous devions nécessairement tirer sur eux. Je ne sais pas si j'ai bien répondu à... à votre question, Maître.
Q. Oui, la réponse est suffisante, Monsieur le Témoin.Pendant cette période — 91‑92 —, est‑ce que cette tactique appliquée par le FPR était couronnée de succès ? Est‑ce que vous obteniez des résultats militaires ? Et que visait précisément le FPR à travers ces attaques ?
R. En fait, c'est nous qui menions les combats. Nous obligions les forces gouvernementales à réagir d'une manière ou d'une autre manière. Et c'est ainsi que nous étions sûrs de gagner la guerre.
Q. Pendant la période 92‑94 — nous devrions peut‑être procéder chronologiquement pour que ce soit assez clair, mais j'essaie de gagner du temps, à la demande du Président ou de la Chambre —, avez‑vous pu savoir s'il y avait une politique de recrutement d'éléments ou de sympathisants par le FPR parmi les populations civiles du Rwanda ?
R. Dans la zone que nous occupions — c'est‑à‑dire dans le nord du pays —, jusqu'en 1993, c'était difficile de recruter des gens parce que les habitants de cette région ne suivaient pas notre idéologie. Mais, pendant cette période, il y a beaucoup de Tutsis du Rwanda qui sont venus rejoindre les rangs du FPR.
Q. Je sais que vous ne pouvez pas citer tous les exemples, mais est‑ce que vous pouvez indiquer les endroits d'où provenaient ces recrues, de manière générale ?
R. Ils venaient « dans » tous les coins du pays, à l'exception du nord où il y avait principalement des Hutus.
Q. Et après l'arrivée de ces nouvelles recrues, est‑ce qu'on les affectait dans des zones du nord ou bien est‑ce qu'on les envoyait dans d'autres régions ?
R. Je ne comprends pas la question, Maître.
Q. Oui, Monsieur le Témoin, je vais tenter d'être plus clair. Lorsque ces nouvelles recrues arrivaient au FPR — nous parlons de la période avant 1993 —, est‑ce que ces nouvelles recrues restaient au nord, dans le nord avec le FPR, ou bien est‑ce qu'on les affectait dans d'autres zones du Rwanda ?
R. Vous parlez du FPR, alors que moi, je faisais à la fois partie du FPR et de l'APR. Ceux qui venaient rejoindre l'armée restaient avec les troupes, mais ceux qui étaient venus pour suivre les enseignements politiques et... retournaient chez eux après leur formation.
Q. C'est une distinction très importante. Pour les besoins du procès‑verbal, il faudrait que nous ayons la même compréhension de ce que c'est, l'APR, et ce que c'est, le FPR, à ce moment‑là. Donc, très brièvement, veuillez indiquer cela pour les besoins du procès‑verbal, pour que nous ne revenions pas dessus.
R. Le FPR — c'est‑à‑dire le Front patriotique rwandais — était un front politique. Et ce front politique avait une branche armée qui s'appelait l'APR — l'Armée patriotique rwandaise. Sur le champ de bataille, il y avait les militaires de l'APR, même s'il y avait parfois aussi des politiques du FPR qui se trouvaient sur place.
Q. Vous avez dit que ceux qui venaient adhérer ou rejoindre le RPF suivaient une formation et retournaient chez eux ; de quel type de formation parlez‑vous ?
R. Je vais vous parler de ce que j'ai pu voir à l'endroit où je me trouvais : Les civils qui venaient dans les zones du FPR recevaient un entraînement militaire et une formation politique. Et après cela, ils retournaient d'où ils étaient venus, que ce soit au Rwanda, au Burundi ou dans d'autres pays.
Q. Savez‑vous si ces membres qui recevaient une formation apprenaient le maniement des armes ?
R. Personnellement, je sais que ces gens ne recevaient pas d'armes avant 1994.
Q. Savez‑vous si on leur a remis des armes après 1994 ?
R. À partir du début de 1994, certaines de ces personnes ont reçu des armes ; et la plupart des personnes qui recevaient des armes étaient des Tutsis.
Q. Si je vous ai bien compris, en février 1993, le FPR a violé le cessez‑le‑feu parce que le FPR pensait qu'il avait une certaine supériorité militaire ; est‑ce que c'est bien ce que vous avez voulu expliquer ?
R. La question n'est pas claire, Maître.
Q. Monsieur le Témoin, je vous remercie de me rappeler à l'ordre. Je voudrais être sûr que j'ai bien compris vos affirmations. Je pense que vous avez dit qu'à la suite des succès enregistrés sur le plan militaire en 1980... en février 1993, le FPR... l'APR — je dois dire —, l'ARP... l'APR a compris qu'elle avait une certaine supériorité militaire et pouvait prendre l'ensemble du pays ; c'est ce que vous avez dit ?
R. C'est ce que j'ai déclaré, mais nous n'avons... nous avons tiré cette conclusion après l'attaque ; pas avant l'attaque dont vous parlez, Maître.
Q. Oui, je voulais dire après les attaques, merci. Je pense que votre mission a changé en 1993 : Vous êtes passé d'un type de mission à un autre type. Est‑ce que vous pouvez expliquer cela à l'attention de la Chambre ?
R. Après la signature du cessez‑le‑feu et après l'établissement de la zone démilitarisée, nous sommes... nous sommes retournés sur nos positions antérieures, et j'ai été affecté à l'équipe qui devait dissimuler les armes qui allaient être utilisées lors des combats ultérieurs.
Q. Savez‑vous d'où provenaient ces armes et les munitions ?
R. J'ai déclaré que ces munitions provenaient de l'Ouganda.
Q. Les Nations Unies avaient sur place une mission appelée MINUAR, avec des observateurs militaires à la frontière entre l'Ouganda et le Rwanda. Comment ces... Comment est‑ce que ces armes pouvaient traverser la frontière, alors qu'il y avait ces observateurs militaires en place ?
R. À cette époque, la MINUAR n'avait pas été encore créée. Il y avait une autre force que... qui était connue sous le nom de UNAMIR, qui se trouvait dans cette zone. Ce n'était pas la MINUAR.
Q. Il y a peut‑être un problème de traduction, parce que j'ai voulu dire UNIMAR, effectivement, mais je parlais spécifiquement des observateurs à la frontière. Étant donné que les Nations Unies avaient placé des observateurs à la frontière, comment est‑ce que l'APR a pu faire traverser des armes et des munitions de l'Ouganda vers le Rwanda ?
R. Les armes sont entrées entre le 2 et le 6 septembre — du moins dans la zone où je me trouvais — et c'était avant l'arrivée de cette équipe d'observateurs. Nous avons fait en « fait » que les armes traversent la frontière avant que ces observateurs n'arrivent sur les lieux.
Q. Savez‑vous si des armes et des munitions sont entrées dans le pays après la mise en place des observateurs qui pouvaient surveiller les mouvements du FPR ?
R. Je ne peux pas confirmer cela ; ce serait de la spéculation, même si je le soupçonne.
Q. Avez‑vous constaté qu'il y avait davantage d'armes et de munitions qui rentraient dans le pays après l'arrivée de ces observateurs ? En somme, bien que nous ne connaissions pas l'origine, est‑ce qu'il y avait davantage d'armes qui entraient dans le pays après cette période où on a mis en place les observateurs ?
R. J'ai seulement entendu dire qu'au... qu'après le début du génocide, beaucoup d'armes sont entrées dans le pays. Mais avant cela, il n'y a pas eu d'autres armes qui seraient arrivées dans le pays clandestinement.
Q. En 1993, est‑ce que vous avez eu l'occasion d'effectuer une mission différente de la cache d'armes dont vous avez parlé ?
R. Ces équipes avaient pour mission... Toutes les équipes avaient pour mission de prendre le pouvoir, mais nous avions aussi d'autres missions : Les missions de reconnaissance, ou de lancer des attaques sporadiques à des endroits particuliers. Je ne sais pas si c'est ce que vous voulez dire, Maître.
Q. Non, je cherchais à comprendre, plutôt, vos responsabilités à vous. Est‑ce que vous avez changé de la dissimulation des armes et la réception des... éléments qui rentraient dans le pays ? Est‑ce que vous êtes passé à une autre mission ? Est‑ce qu'on vous a affecté à d'autres tâches ?
R. Oui, j'ai reçu d’autres responsabilités parce qu'à partir « octobre 1993 », j'ai suivi une formation spéciale à Karama, avant d'être intégré à cette équipe de reconnaissance qui devait travailler dans la ville de Kigali, dont je vous ai déjà parlé.
Q. Pouvez‑vous expliquer le type de formation que vous avez reçue et ce que vous avez fait à l'issue de la formation ?
R. Je n'étais pas seul à être formé. Nous avons eu deux formations accélérées. Et la première formation portait sur le leadership, tandis que la deuxième portait sur le renseignement, intelligence.
Q. Pour nous autres qui sommes des profanes, pouvez‑vous expliquer plus clairement ce que vous appelez « renseignement » ?
R. Il s'agit donc de chercher des renseignements, comme vous le dites. Mais moi, j'étais chargé de ce qu'on appelait le combat intelligence, c'est‑à‑dire les renseignements relatifs au combat.
Q. Et après cette formation dans le domaine de la recherche et du renseignement, où avez‑vous été affecté — après la formation ?
R. J'ai été envoyé à Kigali.
Q. Est‑ce que vous avez une date précise ou approximative de votre affectation à Kigali ?
R. C'était au mois de janvier, à la mi‑janvier. Et je suis parti dans un convoi de militaires de la MINUAR.
Q. Et comment avez‑vous pu faire partie d'un convoi des militaires de la MINUAR ?
R. Les militaires de l'APR étaient autorisés à se déplacer de Mulindi à Kigali, et de revenir. Cela dépendait des raisons de leur déplacement ; c'était autorisé.
Q. Avez‑vous voyagé avec ce convoi ouvertement ou bien est‑ce que c'était clandestinement ?
R. Je ne pouvais pas me cacher ; cela est évident.
Q. Savez‑vous si d'autres éléments de l'APR se sont rendus au CND par cette méthode, pour augmenter les effectifs qui est... qui « avaient passé 600 », soit au CND, soit dans le reste de Kigali ?
R. Il y avait des militaires qui s'y trouvaient officiellement et qui étaient... et qui étaient en tenue militaire. Mais il y avait également d'autres militaires qui se trouvaient sur place et qui étaient en civil, comme moi‑même. Et ces militaires étaient supposés être là en tant que des techniciens ou des... des cadres politiques.
Q. Et cela veut‑il dire que l'APR faisait venir des militaires comme vous, à Kigali, en disant que c'étaient des techniciens civils ? C'est ce que vous avez expliqué ?
R. J'aimerais m'exprimer longuement sur ce sujet, si vous me le permettez, Maître.
Q. Oui, Monsieur le Témoin, nous le souhaiterions aussi, mais le Président est préoccupé par le temps qui passe vite.
M. LE PRÉSIDENT :
Q. Que voulez‑vous ajouter, Monsieur le Témoin ?
R. Il y avait des militaires qui se trouvaient officiellement au CND et qui pouvaient circuler librement. Et il y avait d'autres qui s'étaient infiltrés et que... et qui venaient en civil. Et pour les faire venir, il fallait des prétextes : Certains venaient... certains venaient en tant que techniciens en communication, d'autres étaient considérés comme des médecins. Mais il y en avait qui se trouvaient à Kigali.
Me ERLINDER :
Q. Est‑ce que vous avez eu des renseignements ? Je... Je crois que vous avez dit qu'ils étaient habillés en civil pour qu'on ne sache pas qu'ils étaient militaires ?
R. Oui, c'est ce que je veux dire. Donc la MINUAR ne savait pas, qu'en fait, elle transportait des militaires et que, ce faisant, le nombre de militaires qui devaient être officiellement à cet endroit était déjà dépassé.
Q. Est‑ce que vous avez eu des renseignements concernant le nombre de ces militaires habillés en civil « ont pu » être envoyés à Kigali par l'APR ?
R. Le chiffre que je donne est approximatif, et... et je dirais qu'ils auraient pu être autour de 300.
Q. Et vous faisiez partie des 300 ?
R. Oui.
Q. Pouvez‑vous expliquer la mission des éléments de l'APR en civil ? Quelle était leur mission — si vous l'avez su — à votre arrivée à Kigali ?
R. Il y avait essentiellement des missions de trois ordres : Il fallait d'abord collecter les informations qui permettraient de préparer les hostilités, une fois que les combats auraient repris. Ensuite, nous devions infiltrer les différents partis politiques pour connaître leur fonctionnement. Et en troisième lieu, il y avait un groupe qui était chargé de l'assassinat de différentes personnalités.
Q. S'agissant des assassinations... des assassinats par vos camarades du FPR, est‑ce que vous avez quelques exemples à citer — les endroits, les dates ?
R. Entre 1993 et 1994, avant la mort du Président, il y a eu l'assassinat d'Emmanuel Gapyisi qui est intervenu légèrement avant 1994. Et s'agissant des assassinats intervenus en 1994 et dont j'ai confirmation, il y a eu l'assassinat de l'ancien Ministre de l'énergie en la personne de Félicien Gatabazi. Il y a eu un autre assassinat, mais qui n'était pas le fait du FPR ou de l'APR ; il s'agit de Bucyana, qui était président de la CDR. Et il y a aussi un certain Ingabire — communément connu sous le nom de Katumba — qui a été aussi assassiné par le FPR. Ce sont là les quelques exemples que je peux vous donner.
Q. D'un point de vue militaire, de l'APR, quelle était l'importance de ces assassinats et est‑ce qu'il y avait eu d'autres actes de violence auxquels on a recouru ?
R. Avant que ces assassinats n'aient eu lieu, je ne pouvais pas connaître la motivation mais, après coup, quand j'ai fait mon analyse, j'ai pensé que c'était une façon de créer un climat de violence pour permettre la reprise des hostilités.
Q. Quelle est l'importance de la confusion ou du chaos du point de vue... militaire — en supposant qu'il y aurait eu un chaos au niveau du... des forces gouvernementales ? En fait, je parle des régions contrôlées par le Gouvernement rwandais.
R. Au niveau politique, on comprend qu'il est plus justifié de combattre un gouvernement qui ne sait pas assurer la sécurité des membres de la population. Et ainsi, la personne qui vous attaque a plus de motivations et a plus de raisons de vous attaquer lorsque vous ne pouvez pas garantir la sécurité de la population. Cela procure donc une raison légitime de combattre un tel gouvernement. Je dois aussi ajouter un autre élément d'information : C'est que, chaque fois qu'il y avait des assassinats, cela était imputé au gouvernement en place, ce qui produisait ou ce qui avait pour conséquence un climat malsain ; et cela profitait au... à la force qui attaquait les gouvernements.
Q. Je voudrais être sûr que je vous comprends bien, Monsieur Ruzibiza ; j'ai cru comprendre ceci : Vous dites qu'avant l'avancée du FPR le 6 avril, le FPR procédait à des « assissanats » et imputait cela au Gouvernement rwandais ?
Mme GRAHAM :Si le Conseil ne comprend pas, il devrait demander des éclaircissements au lieu de mettre des mots dans la bouche du témoin.
Me ERLINDER :Je... Je ne peux pas demander des éclaircissements de cette façon. Il n'y a rien qui soit contraire à cela dans le Règlement de procédure et de preuve.
Mme GRAHAM :En fait, au niveau de... du droit, tout est contraire à cela.
Me ERLINDER :Je suis contre.
M. LE PRÉSIDENT :Essayez de poser des questions qui donnent l'impression qu'en fait, vous orientez le témoin, même si cela n'est pas votre intention. Essayez de poser cette question différemment au lieu de résumer les éléments de preuve.
Me ERLINDER :Je dois dire, Monsieur le Président, que résumer ce que le témoin a déjà... a été... a dit n'est pas suggestif, mais je vais suivre les instructions de la Chambre. Mais je soulève toujours mon objection.
M. LE PRÉSIDENT :Vous ajoutez des éléments suggestifs, Maître Erlinder, et nous voulons éviter cela. Veuillez poursuivre.
Me ERLINDER :Est‑ce que la Chambre peut me dire quels éléments j'ai ajoutés ? Et... Je ne veux pas faire une erreur.
M. LE PRÉSIDENT :Vous n'avez pas besoin d'éclaircissements. Continuez.
Me ERLINDER :Comment je pourrais pour... poursuivre sans que la Chambre m'éclaire ?
M. LE PRÉSIDENT :Tous les autres Conseils se débrouillent pour le faire, vous pouvez le faire également. Continuez.
Me ERLINDER :Monsieur le Président, comme il vous plaira.
Q. Monsieur le Témoin, à qui le FPR ou l'APR imputait les actes de violence qu'il perpétrait lui‑même ?
R. Ils étaient imputés au côté gouvernemental, mais cela relevait de la propagande.
Q. Nous avons suivi des dépositions concernant les assassinats de civils en novembre 1993 à... à Mutura et à Kirambo. Je crois que c'était le 17 et le 18 novembre et vers la fin de ce mois. Est‑ce que vous savez qui a... qui est l'auteur de ces assassinats‑là, ceux dont j'ai parlé ?
R. Kirambo se situe dans les communes qui étaient couvertes par le bataillon 59, dont je faisais partie, et j'ai donc pu savoir les responsables de cet assassinat parce que j'étais moi‑même engagé dans des opérations similaires.
Q. Dois‑je comprendre...
Me ERLINDER :Monsieur le Président, je voudrais pas être suggestif : Je voudrais demander au témoin que j'ai bien compris que c'est le FPR qui a tué les gens le 17 novembre...
Mme GRAHAM :(Intervention non interprétée : Microphone fermé)
Me ERLINDER :Je voulais être sûr que c'est ce qu'il a dit.
Mme GRAHAM :On ne veut pas savoir ce que le Conseil pense. S'il veut des éclaircissements, il doit juste demander qui les a tués.
Me ERLINDER : La Chambre m'a également demandé d'aller vite, et l'une des façons de le faire, c'est de résumer les questions après que le témoin a déjà déposé là‑dessus.
M. LE PRÉSIDENT :
Q. Est‑ce que quelqu'un a été tué le 17 novembre, à votre connaissance, Monsieur le Témoin ?
R. Oui, pour au moins un de ces assassinats, ce sont des informations qui... m'ont été apportées. Mais s'agissant de l'autre événement, j'en ai été témoin.
Me ERLINDER :
Q. Est‑ce que vous connaissez quelque chose concernant le deuxième incident — je crois que c'était autour du 26 novembre ?
R. De quel événement parlez‑vous, Maître ?
Me ERLINDER :Excusez‑moi, Monsieur le Président, je voudrais formuler la question de façon judicieuse.

(Concertation au sein de l’équipe de la Défense) Monsieur le Témoin, excusez‑moi pour ce retard. L'information que j'ai...
Mme GRAHAM :Objection, nous ne voulons pas que le... que le Conseil donne des informations. Il a dit qu'il a... il a des informations directes et qu'il a également le ouï‑dire. Je crois que le Conseil peut lui demander des... peut lui poser des questions sur ces deux points au lieu de donner des éléments de preuve au témoin. Je trouve que c'est assez direct.
M. LE PRÉSIDENT :Quelle est la question suivante ?
Me ERLINDER :
Q. Monsieur le Témoin, le Procureur a donné des éléments de preuve selon lesquels... c'était à travers le général Dallaire ; il a dit qu'il y a eu des assassinats à Kirambo, autour du 17 ou du 18 novembre, et également à Mutura, vers la fin de novembre, c'est‑à‑dire du 26 au 29. Est‑ce que vous avez des informations sur l'un quelconque de ces incidents ou alors est‑ce que vous contestez le fait qu'ils aient eu lieu ?
R. Les assassinats ont été perpétrés dans la région de Kirambo et de Mutura, mais plus particulièrement à Kabatwa. Même si je ne suis pas certain à propos des dates, mais ces assassinats ont été perpétrés par les éléments de l'unité Charlie et ceux du bataillon 59. Je crois d'ailleurs avoir donné les noms dans ma déclaration — je veux dire les noms des personnes responsables de ces assassinats.
Q. Je vous remercie, Monsieur le Témoin. On n'a pas besoin de rentrer dans ces détails‑là. Est‑ce que vous savez pourquoi ces individus ont été tués ; je crois que c'étaient des civils, n'est‑ce pas ?
R. La raison est à placer dans le plan du FPR de créer des... un climat de violence pour la reprise des hostilités, et pour le cas de Mutura, c'est plutôt spécial parce que ce sont des Tutsis qui ont été assassinés, alors que d'habitude, ceux qui étaient ciblés étaient des Hutus.
Q. Dois‑je comprendre que l'APR ciblait des Tutsis ; c'est ce que vous venez de dire ?
R. Ce n'était pas systématique, mais j'ai pu apprendre certains incidents à l'occasion desquels des Tutsis ont été ciblés, sans que je puisse savoir exactement pourquoi ils étaient ciblés.
Q. Est‑ce que vous savez si l'un de ces événements avait quelque chose à voir avec les élections locales qui devaient avoir lieu dans ces régions‑là ?
R. Les élections étaient utilisées comme prétexte. Le FPR avait procédé au recrutement de certains membres et lorsque les populations civiles sont revenues dans leurs propriétés, ces membres de la population ont refusé d'élire les membres ou les éléments du FPR. Mais je ne pense pas qu'il y ait une relation quelconque entre ces élections et ces assassinats. Je place plutôt ces assassinats dans le contexte du plan de créer un climat de violence pour la reprise des hostilités.
Q. Monsieur Ruzibiza, vous avez déclaré qu'une partie du... de la collecte des renseignements du FPR avait trait à l'infiltration et l'obtention d'informations militaires et politiques de l'autre côté, de l'adversaire. Alors, dites‑nous : Quelles étaient les institutions du Gouvernement rwandais qui avaient été infiltrées par le FPR, en ce qui concerne la collecte des renseignements et particulièrement le personnel des renseignements ? Par exemple, les gendarmes, les FAR, les partis politiques, etc.
R. Je pense que cette question est, en quelque sorte, vague, et cela me demande de donner beaucoup de détails, parce que nous n'avions pas la capacité de pouvoir infiltrer les institutions gouvernementales. Nous pouvions cependant obtenir des informations « à » des personnes qui travaillaient au sein de ces institutions, que ce soient des Tutsis ou parfois même des Hutus.
Q. Est‑ce que vous avez eu des informations... des sources d'information au niveau de la Gendarmerie et dans l'armée gouvernementale rwandaise ?
R. Personnellement, je n'en connais pas, mais cela n'exclut pas l'éventualité que de tels éléments auraient pu exister.
Q. Est‑ce que vos camarades de l'APR ont joué un rôle au niveau des Interahamwe ? Est‑ce qu'ils ont utilisé les Interahamwe, d'une façon ou d'une autre ? Et si tel est le cas, expliquez‑nous.
R. Nous n'avons pas utilisé les Interahamwe, mais certains de mes collègues — et ici, je veux parler des membres de l'équipe qui était déployée à Kigali —, certains, donc, de mes collègues utilisaient les Interahamwe... acceptaient... plutôt, participaient aux activités des Interahamwe et se comportaient comme les Interahamwe eux‑mêmes, pour éviter d'être reconnus.
Q. Savez‑vous si cette infiltration des Interahamwe par les... des membres de l'APR, est‑ce que vous savez si cela a eu lieu ailleurs qu'à Kigali, ou alors est‑ce que vous parlez uniquement de la ville de Kigali ?
R. Je dois d'abord vous dire qu'il n'était pas facile d'infiltrer les Interahamwe, mais pour répondre à votre question, de telles infiltrations ont eu lieu ailleurs. Mais il était plus facile pour nous d'infiltrer les jeunesses des autres partis, telles que celles du PSD ou du PL.
Q. Je crois qu'il y a quelques instants, vous avez déclaré que quelquefois elle était nécessaire pour que des personnes qui étaient habillées en civil... des personnes qui étaient habillées en civil étaient en réalité des combattants de l'APR ; et ce genre de personnes‑là s'impliquaient dans des actes de violence perpétrés par les Interahamwe ; est‑ce que je vous ai bien compris ?
R. Oui, je l'ai dit.
Q. Avec quelques illustrations, est‑ce que vous pouvez nous donner des informations sur ce que vous saviez ; par exemple, le fait qu'il y avait des barrages routiers avec des personnes en civil ?
M. LE PRÉSIDENT :C'est là le problème. Posez la question en termes généraux, et vous n'avez pas besoin de donner des indications spécifiques.
Me ERLINDER :Avec le respect, Monsieur le Président, si je donne plus d'une alternative au témoin et je lui demande des explications, ce n'est pas une question suggestive. Donc, arrêtez‑moi avec le premier... vous m'avez arrêté avec le premier exemple. Si j'avais pu continuer, je lui aurais donné deux ou trois exemples et j'aurais demandé une réponse générale. Ce n'est pas une question suggestive, mais je vais accepter votre décision en tant que Président du Tribunal.
M. LE PRÉSIDENT :
Q. Est‑ce que vous pouvez maintenant répondre à la question formulée différemment ?
R. Lorsque vous avez interrompu le Conseil de la Défense, je ne comprenais pas quelle nuance il voulait introduire, parce que je crois que j'avais déjà répondu à sa question.
Me ERLINDER :Monsieur le Président, je vais essayer.
Q. Je voulais quelques exemples sur le type de choses que les militaires de l'APR faisaient pour maintenir leur présence parmi les Interahamwe. Donc, qu'est‑ce que vous vouliez dire quand vous avez évoqué cela ?
R. Il y a, par exemple, eu des manifestations qui se sont déroulées au stade de Nyamirambo en présence du Président du PL, Monsieur Mugenzi. Il y a également eu des manifestations qui se sont déroulées à Kimihurura la veille de la mise en place du gouvernement. Il s'agit là de deux cas où nous avons eu nos éléments qui étaient impliqués, et cela a causé une violence relative. Et avant l'assassinat du Président, il y a eu certains éléments de l'APR qui n'ont pas pu rentrer à leur poste d'attache à cause des barrages qui ne les laissaient pas passer, et certains de ces éléments ont dû attendre une occasion propice pour pouvoir passer à travers ces barrages et rejoindre leur poste d'attache.
Q. Est‑ce que vous avez des informations sur le fait qu'il y a eu des infiltrés de l'APR sur certains des barrages routiers — tout au moins à certains endroits.
R. Je vais répondre dans le cas de Kigali, surtout que je n'ai même pas pu me rendre à ces barrages routiers. Mais à Gikongo, cela s'est produit ; à Kimihurura aussi. Mais pour les autres barrages routiers, je pense qu'il y a eu une infiltration après la mort du Président Habyarimana. Sinon, je ne connais pas la situation des autres barrages routiers.
Q. Quand on parle d'infiltrations, est‑ce qu'il s'agit d'infiltrations par des membres de l'APR — pour des raisons de clarté ?
R. Mais entendons‑nous d'abord : Leur objectif final n'était pas d'aller à ces barrages routiers. Ce n'est donc pas le FPR qui décidait que ces éléments devaient se rendre à ces barrages routiers. Nous le faisions pour pouvoir avoir des informations de première main.
Q. Je le comprends. Par rapport à la distinction que vous avez établie entre l'APR et le FPR, et les personnes qui ont reçu un entraînement à Mulindi et ont été renvoyées dans leur localité d'origine, est‑ce que vous savez quelles activités ces personnes entraînées par le FPR menaient pendant que vous faisiez ce que vous, vous faisiez avec l'APR ? Est‑ce que vous avez des informations là‑dessus ?
R. Je dois d'abord préciser qu'il n'y a pas eu de formation de civils à Mulindi. Les seules formations qui ont eu lieu ont eu lieu à Karama et à Cyondo, ainsi qu'aux postes de commandement des différentes unités. Mais il n'y a pas eu de formation de civils à Mulindi. Quant au contenu de leur formation, il s'agissait d'une formation de mobilisateur politique. Ils apprenaient aussi le maniement des armes. Ensuite, ils étaient envoyés à l'intérieur du pays pour sensibiliser les membres de la population à l'idéologie du FPR. Avant 1994, je ne leur connais pas d'autres missions.
Q. Concentrons‑nous là‑dessus. Vous avez dit que la mission consistait à sensibiliser les populations par rapport aux positions du FPR. Donc, pourquoi, en fait, on essayait de former les gens pour ce travail politique‑là ?
R. Si je devais répondre à cette question, je pense que je risque de spéculer. Mais dans tous les cas, ils devaient pouvoir se protéger dans le cas où ils seraient attaqués ; et c'est dans ce cadre qu'ils devaient avoir un entraînement militaire, et certains d'entre eux ont reçu des pistolets ou des grenades pour leur propre défense. Mais dans certains cas, certaines de ces personnes qui avaient été formées jetaient des grenades par ci, par là, pour causer… justement… et rajouter à ce climat d'insécurité. Mais je dois préciser que ce n'était pas là l'objectif principal de leur formation, et c'étaient là des cas isolés.
Q. Il s'agit de la période avant que l'avion présidentiel ait été abattu ?
R. Oui. Parce que de tels actes n'auraient pas été possibles après que l'attentat contre l'avion présidentiel ait eu lieu, parce que c'était une situation de guerre.
Q. Est‑ce que vous avez eu des contacts avec les membres ou les sympathisants du FPR pendant que vous travailliez au niveau de l'APR ? Je veux dire avant que l'avion présidentiel ait été abattu — je parle des trois ou quatre mois précédant cet incident.
R. Oui, j'avais des contacts fréquents avec eux, parce que même là où je me cachais, j'étais un agent, un cadre du FPR.
Q. Où vous cachiez‑vous à ce moment‑là, globalement ?
R. Pendant la période où je faisais mon travail de reconnaissance, je vivais dans une localité entre Kabeza et Giporoso, et c'est dans la zone de Remera.
Q. Y êtes‑vous resté pendant tout le temps que vous avez passé à Kigali, ou alors est‑ce que vous vous êtes déplacé ?
R. C'était là mon adresse permanente, mais il m'arrivait aussi de passer la nuit à Kicukiro ou à Kabuga, selon l'objet de ma mission ou selon qu'il avait plu.
Me ERLINDER :Monsieur le Président, pour accélérer ceci, nous avons une carte des différents points, des endroits où ce témoin a été ; on a des gros cercles là‑dessus.
Q. Monsieur le Témoin, regardez la carte et le point qui a un grand cercle noir là‑dessus. Je crois que vous avez déjà une copie, mais si cela est nécessaire, Madame Ben Salimo peut vous en procurer une autre.

M. LE PRÉSIDENT :Est‑ce que vous versez cela en preuve ?
Me ERLINDER :Oui, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT :Versons la pièce précédente.
Mme BEN SALIMO :(Intervention inaudible : Microphone fermé)
L'INTERPRÈTE ANGLAIS‑FRANÇAIS :Votre micro, Madame Ben Salimo.
Mme BEN SALIMO :
C'est la pièce D. NT 215, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT :Je vous remercie.

(Admission de la pièce à conviction D. NT 215)Vous avez reçu ce deuxième document, Monsieur le Témoin, et voici la question.
Me ERLINDER :
Q. Monsieur le Témoin, est‑ce que vous connaissez le document que vous avez sous les yeux ? Et dites‑nous en quoi il consiste, si vous le connaissez.
R. Oui, c'est moi qui ai élaboré cette carte pour indiquer les différents endroits où j'ai été pendant ma carrière militaire et les périodes correspondant à chaque endroit.
Q. Cette carte est élaborée pour éviter qu'on pose de trop nombreuses questions ; c'est juste pour établir votre expérience dans le pays. Je voudrais maintenant me concentrer sur la période juste avant que l'avion présidentiel a été abattu, les quatre mois que vous avez passés à Kigali. Est‑ce que vous savez si des membres du FPR ou si des sympathisants du FPR ont participé à la collecte de renseignements et dans les activités et les actions militaires du FPR ?
R. Je vous demanderais de reprendre votre question, Maître, parce que je l'ai pas bien saisie.
Q. Très bien. J'essaie d'établir un distinguo entre le rôle du FPR et de l'APR. Quand vous étiez à Kigali, nous avons compris votre rôle de collecte d'informations, et celui de votre collègue. Est‑ce que vous savez si des membres du FPR — mais pas de l'APR —, donc des gens du FPR étaient engagés dans les activités que vous venez d'évoquer ?
R. En réalité, même si l'APR était la branche armée du FPR, mais c'était un même ensemble, et les éléments de l'APR faisaient que mettre en application les décisions qui avaient été adoptées par la structure politique, parce que celui qui dirigeait la branche armée était en même temps le vice‑président du FPR.
Q. Et qui était‑ce ?
R. Je veux parler du général major Paul Kagame, même si après l'envoi du bataillon du FPR au CND, il a changé de poste et qu'il a laissé son poste à Patrick Mazimpaka. Mais sinon, avant pour… qu'il ne démissionne de ce poste, c'est lui qui était le vice‑président du FPR et c'est lui qui était en même temps le patron de la branche armée.
Q. Je comprends qu'au niveau... Il y avait ces liens entre le FPR et l'APR en la personne de Monsieur Kagame, mais sur le terrain, est‑ce que vous et vos collègues de l'APR receviez un soutien ou l'assistance de personnes du FPR qui étaient à Kigali ? Et si c'est le cas, dites‑nous comment cela se passait.
R. Je vais commencer par moi‑même. Je vous ai dit que j'étais hébergé par un cadre politique du FPR. Vous comprenez donc que c'était un civil qui travaillait pour le compte du FPR et j'étais hébergé chez lui ; et il est fort probable que mes autres collègues « aient été » le même cas que moi.
Q. Savez‑vous si pendant la période avant le crash de l'avion présidentiel… — choisissez n'importe quelle période — est‑ce qu'il y a eu une formation continue de personnes qui venaient de Kigali, ou d'autres zones, des gens qui étaient formés et renvoyés dans leur localité ? Est‑ce que pendant cette période, il y a eu une telle formation ?
R. J'ai dit que ces entraînements ou ces formations ont surtout eu lieu au milieu de l'année 1993, et que cela a continué jusqu'à la mort du Président Habyarimana. Mais après la mort du Président, cela n'était plus possible. Mais avant 1994, c'est... ou bien 1993 — plutôt — ces formations étaient la plupart du temps destinées aux éléments ressortissants des pays autres que le Rwanda.
Me ERLINDER :Monsieur le Président, je voudrais soumettre une demande. J'ai un problème de calories ; je crois que si nous pouvons arrêter maintenant de sorte qu'on reprenne plus tôt, je l'apprécierais.
M. LE PRÉSIDENT :C'est‑à‑dire reprendre dans la salle 4 ?
Me ERLINDER :Oui, Monsieur le Président, et je suis certain que j'en finirai avant la fin de la journée.
M. LE PRÉSIDENT :Quelle est la durée des interrogatoires des autres équipes ?
Me SKOLNIK :Monsieur le Président, au nom de l'équipe de la défense de Kabiligi — et c'est juste une estimation —je dirais une demi‑heure.
M. LE PRÉSIDENT :Et les autres... L'équipe de Bagosora ?
Me TURNER :Environ une demi‑heure, Monsieur le Président.

M. LE PRÉSIDENT :Nsengiyumva ?
Me OGETTO :Monsieur le Président, cela dépendra des domaines qui seront évoqués par mes collègues, mais je puis dire que ce sera environ une heure.
M. LE PRÉSIDENT :Et vous n'êtes pas certain que vous aurez besoin de toute la journée ?
Me ERLINDER :Oui, Monsieur le Président. Je ne peux pas me concentrer à ce stade ; je pourrai savoir à la reprise.
M. LE PRÉSIDENT :S'il n'y a pas d'autres questions, d'autres pratiques, nous allons suspendre maintenant et reprendre au rez‑de‑chaussée à 14 heures précises.Maître Tremblay ?
Me TREMBLAY :Monsieur le Président, « DH133 » : Vous vous souvenez qu'on a dû le retourner la semaine passée dans son pays de résidence. Il attend et il aura le même problème demain. Et il faudra vraiment que nous passions « DH133 » demain, sinon, on va le perdre.
M. LE PRÉSIDENT :Très bien. Nous allons voir comment les interrogatoires vont évoluer. Mais maintenant nous allons suspendre. L'audience est suspendue.

(Suspension de l'audience : 12 h 35)

(Pages 1 à 44 prises et transcrites par Hélène Dolin, s.o)












(Reprise de l'audience : 14 h 5)
M. LE PRÉSIDENT :Bonjour.Maître Erlinder, vous avez la parole.
Me ERLINDER :Merci, Monsieur le Président. Je crois que je vais tenter de m'en tenir à deux heures. Je pourrais régler tous les problèmes qui restent en deux heures ; j'espère pouvoir faire mieux.
Q. Monsieur le Témoin, avant que nous ne poursuivions, je voudrais revenir à l'un des faits sur lesquels vous avez témoigné ce matin. Savez‑vous qui avait autorisé l'abattage... qui avait autorisé l'abattage de l'avion présidentiel ? Si nous prenons la hiérarchie au sein du FPR, qui a donné l'ordre pour que l'avion présidentiel soit abattu ?
M. RUZIBIZA :
R. Personnellement, je n'étais pas à un niveau qui me permettait de savoir qui a donné l'ordre directement. Mais, de toute manière, cet ordre ne pouvait être donné que par le commandant supérieur de la branche armée, c'est‑à‑dire Paul Kagame, parce que les missiles qui ont été utilisés ne pouvaient être utilisés que sous... sous... sous ses ordres. C'est tout ce je peux vous dire.
Q. Je pense qu'il y a eu un changement dans le fonctionnement de la structure hiérarchique du FPR avant la chute de l'avion présidentiel. Est‑ce que vous pouvez nous expliquer comment vous avez perçu ce changement, s'agissant notamment des relations entre les troupes opérationnelles et la hiérarchie, au niveau élevé ?
M. LE PRÉSIDENT :
Q. En d'autres termes, Monsieur le Président (sic), est‑ce qu'il y a eu un changement avant cet événement ?
R. Jusqu'à présent, je n'ai pas compris la question.
Me ERLINDER :
Q. Monsieur le Témoin, si nous prenons la structure de commandement, lorsque le FPR menait sa guerre de guérilla, est‑ce que les unités opérationnelles attendaient les ordres d'en haut ou bien est‑ce qu'elles opéraient librement, pendant la guérilla, en 1994 ?
R. Il faut préciser que dans l'armée, on ne peut pas agir de manière autonome, sans recevoir des ordres de... d'un supérieur quelconque. Nous, d'habitude, nous avions l'habitude de combattre dans une zone donnée, et c'est le commandement qui prenait l'initiative sur le terrain. Mais, en 1994, cela a changé : Le commandant n'avait plus le droit de prendre des initiatives comme par le passé. Je ne sais pas si c'est ce que vous voulez que je vous dise, en réponse à votre question ?
Q. Oui, j'espérais pouvoir en parler dans quelques minutes. Est‑ce que vous avez des exemples... Attendez, je voudrais préciser une chose : Est‑ce que ce changement est survenu après l'assassinat du Président ou avant, c'est‑à‑dire les initiative prises pour limiter la liberté des commandants opérationnels ?
R. Après le 6 avril, la guerre était plutôt conventionnelle, alors que... alors qu'avant, nous faisions la guerre de guérilla. Donc, après le 6 avril, nous recevions des ordres de... du commandement supérieur de l'APR, ce qui n'était pas le cas auparavant.
Q. Avant la reprise de la guerre, le 6 avril, est‑ce que le FPR avait déjà envisagé que la reprise de la guerre pourrait entraîner des assassinats politiques ou des victimes parmi les civils ? Est‑ce que le FPR avait considéré cela comme des conséquences d'une reprise de la guerre ?
R. Oui, le FPR avait conscience que de telles conséquences allaient avoir lieu. Et moi, personnellement, j'en avais conscience.
Q. Après le début de la guerre, je pense que, dans un premier temps, il y a eu des assassinats dans la nuit du 6 au 7. Est‑ce que vous savez si c'étaient des tueries à mobile politique ou à mobile ethnique ? Est‑ce que vous aviez une idée de ce qui passait, à ce moment‑là ?
R. Je ne veux pas faire de déclarations politiques, ce serait de la spéculation. Je sais qu'il y a eu des politiciens qui ont été tués, simplement.
Q. S'agissant de l'ampleur des massacres de civils, est‑ce que le changement survenu dans la chaîne de commandement a eu des implications, ou alors, est‑ce que cela a limité la marge de manœuvre des commandants pour empêcher, par exemple, qu'il y ait des meurtres de civils ? Si oui, est‑ce que vous pouvez donner des exemples de certains commandants qui, par exemple, ont été victimes de la nouvelle structure ?
R. La guerre, après le 6 avril, est devenue très violente. Et il y a eu beaucoup de tueries partout dans le pays, de telle manière qu'il fallait chercher de nouvelles tactiques de combat. Mais, étant donné ce changement de structure, étant donné que les militaires devaient suivre les ordres à la lettre, ils n'ont pas pu sauver des gens.Je peux vous donner un exemple : Il y avait une unité qui se trouvait sur le mont Jali et qui était dirigée par le colonel Dodo. Ce dernier a voulu secourir des habitants qui se trouvaient dans la commune de Shi... de Shirongi, et on l'en a empêché. Et même... Par la suite, il a été remplacé par quelqu'un d'autre à cause de certaines initiatives qu'il avait voulu prendre. Le deuxième exemple a un rapport « au » colonel Musitu qui se trouvait dans la commune Mutura... et la commune Rwerere à... à Byumba. On a demandé à son unité d'aller renforcer les autres éléments qui se trouvaient à Mburabuturo, c'est‑à‑dire... C'était dans la ville de Kigali. Et lui, il a dit que, sur son chemin, il avait constaté qu'il y avait des tueries qui se commettaient, lorsqu'il se rendait à... à Mburabuturo. Et, par la suite, il a remplacé... on l'a... on l'a démis de son poste à cause de ces déclarations qu'il avait faites.
M. LE PRÉSIDENT :
Q. Donnez‑nous l'orthographe du nom « Musitu », Monsieur le Témoin.
R. M‑ U‑ S‑ I‑ T‑ U. Charles Musitu.
Me ERLINDER :
Q. Monsieur Ruzibiza, vous avez également dit qu'il y avait un déséquilibre de forces entre les forces de l'APR et les FAR. Compte tenu de ce déséquilibre, est‑ce que, de votre point de vue, le camp gouvernemental avait la capacité de faire face aux assauts du FPR et de protéger également les civils, avec la capacité qui existait, à la suite de la violation du cessez‑le‑feu ?
R. C'est une question difficile. Vous parlez de déséquilibre entre les capacités des Forces armées rwandaises et du FPR. Moi, je pense que... la différence était du point stratégique, parce que les FAR étaient plus nombreuses que les éléments du... de l'APR. Et je... Pour ce qui est de mettre fin aux massacres, je pense que cela aurait été possible s'il n'y avait pas eu de combats.
Q. Pouvez‑vous indiquer, à l'attention de la Chambre, comment les combats ont déclenché les tueries et créé des difficultés pour y mettre fin ?
R. À mon avis, les militaires des FAR ne pouvaient pas faire face aux attaques du FPR et mettre fin aux massacres qui étaient commis par les Interahamwe et d'autres personnes ; cela n'était pas possible.
Q. Ces massacres dont vous parlez, est‑ce que c'étaient des massacres par des militaires ou bien essentiellement par d'autres civils ? Qu'est‑ce... Qui étaient les auteurs des massacres ? Et, bien entendu, vous pouvez citer quelques exemples.
R. La question est difficile. Toutes les catégories des Rwandais ont participé à ces massacres, donc et les civils et les militaires ont participé à ces massacres. Je ne sais pas si j'ai répondu à votre... à votre question, Maître.
Q. Je ne sais pas si vous avez des renseignements concernant... Attendez, je vais d'abord jeter les bases :Monsieur le Témoin, est‑ce que vous étiez conscient de la situation créée au sein de la population civile par le succès ou l'avancée des forces de l'APR en 1993 ?
R. Vos questions ne sont pas spécifiques, Maître ; c'est pour cela que j'ai du mal à y répondre. D'autant plus que vous m'avez demandé d'être bref.
Me ERLINDER :Monsieur le Témoin, je suis confronté à un dilemme parce que, quand je vous pose des questions de manière directe, il y a des objections de l'autre côté ; j'essaie donc de vous poser des questionsà caractère général. Et je vais m'en remettre à la Chambre : Quelle conduite tenir, Monsieur le Président ?

M. LE PRÉSIDENT :Tentez de poser la question à nouveau, cela marchera.
Me ERLINDER :Merci, Monsieur le Président.
Q. Je pense que, dans votre livre, vous avez dit qu'il y avait de nombreux... nombreuses personnes déplacées au Rwanda après l'offensive de février 1993. Est‑ce que j'ai bien lu votre livre ?
R. C'est vrai.
Q. Pouvons‑nous parler maintenant des impressions que vous avez eues de l'attitude de ces... des populations vis‑à‑vis du FPR ? Est‑ce que cela a eu une... une incidence sur l'avancée de l'AP... de l'APR ?
R. Depuis 1990 à 1994, moi et mes camarades avons mené une guerre, et cette guerre a fait beaucoup de victimes, surtout dans le nord du pays. Et il y avait beaucoup de tensions. Et je peux vous dire que ces habitants ne voyaient pas d'un bon œil l'avancée du FPR.
Q. Et si je comprends bien, ces personnes qui étaient déplacées dans l'ensemble du pays, « certains » étaient encore à l'intérieur du pays en avril 1994 ? Je veux dire les personnes qui ont été déplacées du nord.
R. Oui, certains quittaient leur commune et... et s'installaient dans d'autres communes où il n'y avait pas de « combé »... de combats. Il y avait des camps de déplacés à l'intérieur du pays même.
Q. S'agissant de ceux qu'on a, par la suite, appelés les Interahamwe, après avril 1994, avez‑vous constaté un lien entre les personnes déplacées par le FPR et la constitution de ces Interahamwe civils ? Est‑ce qu'il y a eu un lien entre les deux ?
R. Les Interahamwe ont été recrutés dans différents coins du pays, mais la plupart des jeunes gens désœuvrés et qui étaient contre le FPR ont été recrutés au sein de ces camps de déplacés de guerre. Je crois que c'était là le sens de votre question, Maître ?
Q. Oui, c'est ce que j'ai voulu savoir. Et une fois que la violence du côté des civils a commencé, quel rôle ces déplacés internes ont‑ils joué ? Est‑ce que vous avez des indications quant à savoir pourquoi ils ont réagi violemment vis‑à‑vis du FPR ou des Tutsis... surtout des personnes qui ont été déplacées du fait de l'attaque de l'APR ?
R. Je ne sais pas si vous voulez dire que ces gens auraient combattu plus que les autres, le FPR ou les Tutsis. C'est ce que vous voulez dire, Maître ?
R. Je vais tenter d'être plus précis, Monsieur le Témoin. Je pense que, dans un passage de votre livre, vous dites que la violence était le fait des personnes déplacées et que les personnes déplacées ont réagi très violemment vis‑à‑vis du... du FPR. Et je voudrais savoir quelle incidence cela a eu sur les Interahamwe.
R. J'ai déclaré que la plupart des Interahamwe étaient recrutés au sein des camps. Et ces personnes n'avaient pas besoin d'être... d'être sensibilisées ; elles avaient déjà de l'animosité contre le FPR. Il... Il s'agissait simplement de les sensibiliser contre les Tutsis pour qu'ils puissent participer aux massacres des Tutsis. Donc, la plupart des Interahamwe étaient composés de ces personnes déplacées et pour elles, il était facile de tuer les Tutsis.
Q. Je me réfère encore à votre livre — et vous voudrez bien me corriger si je me trompe. Je pense que vous avez dit que, dans un certain sens, c'était une erreur de la part du FPR de déplacer tant de personnes et de créer cette animosité contre le FPR, et que cela a entraîné davantage de meurtres de civils. Vous voudrez bien me corriger si j'ai mal interprété votre livre ?
R. C'est vrai, je l'ai écrit dans mon livre. Mais, pour moi, cela ne constitue pas une justification pour les Interahamwe et les Hutus extrémistes afin de tuer les Tutsis ; cela ne me semble pas une justification.
Q. Je serais d'accord avec vous, Monsieur le Témoin. Pour revenir à un thème précis, s'agissant des exemples que vous avez mentionnés de certains officiers qui ne pouvaient pas utiliser les éléments sous leur autorité pour mettre fin aux tueries sans avoir l'ordre d'en haut, est‑ce que vous avez des cas précis de personnes qui ont été tuées parce que le FPR n'a pas pu utiliser ces forces, tel que vous le suggérez, c'est‑à‑dire comme vous, vous auriez pu utiliser vous‑même les forces du FPR pour prévenir ou pour empêcher les tueries ? À nouveau, si je me trompe dans l'interprétation du livre, vous voudrez bien me corriger.
R. Premièrement, le FPR n'était pas chargé de protéger la population civile ; cela, c'était l'attribution du gouvernement qui était en place à l'époque. C'est ce que je voulais préciser en premier lieu. Deuxièmement, la stratégie de combat a été modifiée de manière soudaine, et on nous a empêchés de prendre les initiatives alors qu'il y avait des massacres qui se commettaient. Et cela a... a permis que le génocide prenne l'ampleur qu'il a pu... qu'il a pu prendre par la suite.
Q. Cela veut‑il dire que vous pensez que le FPR, avec ses troupes, aurait pu empêcher que le massacre ait lieu avec l'ampleur que l'on connaît, en utilisant ses troupes pour empêcher certains massacres ?Je m'excuse. En réalité, je parle de l'APR, et je me trompe en disant tout le temps « FPR ».
R. L'APR avait tous les moyens militaires à sa disposition pour réduire de 75 % le nombre de victimes. Si, par... Si on dit qu'il y a eu un million de victimes, peut‑être qu'il y en aurait eu seulement 300 000. Donc, je confirme que nous en avions les moyens, mais que nous ne l'avons pas fait.
Q. Lorsque vous êtes arrivé à Arusha, nous avons eu un entretien et vous m'avez parlé d'un processus en trois étapes dont vous avez pris conscience, qui concernait la stratégie générale de la « glaire »... de la guerre, avec le chaos, etc. Est‑ce que vous pouvez expliquer à nouveau ces trois étapes que vous avez pu constater dans la stratégie du FPR ?
R. Le... C'est avec le recul que je me suis rendu compte qu'il y avait une stratégie en place ; je tiens à le préciser avant de vous répondre.
Q. Oui. Poursuivez votre réponse.
R. Et cette stratégie dont vous parlez... Et je pars de l'attaque du 8 février 1993. Nous... Nous étions en mesure de prendre le territoire national : Le FPR a d'abord fait des entraînements ; et, deuxièmement, le FPR a dissimulé des armes ; et troisièmement, le FPR a créé un climat de violence en commettant des actes de violence partout dans le pays ; et quatrièmement, le FPR a finalement tué le Président de la République afin de déclencher les massacres.
Q. Monsieur Ruzibiza, les troupes de l'APR ont‑elles eu l'occasion, parfois, de porter les uniformes soit des FAR, soit de la Gendarmerie, pour une raison ou une autre ? Si cela est arrivé, veuillez expliquer, s'il vous plaît.
R. Chaque fois que nous attaquions un camp militaire et qu'il tombait sous notre « contraire »... contrôle, nous nous « approprifions »... nous nous appropriions les uniformes que nous trouvions dans le camp. Et nous le faisions parce que nous avions besoin d'uniformes ; ce n'était pas pour une autre raison.
Q. Oui, j'imagine que cela a dû créer des problèmes, parce que si l'APR porte l'uniforme des gendarmes ou des FAR, il n'est plus facile de dire qui est l'ennemi.
Mme GRAHAM :Est‑ce que le Conseil peut simplement poser des questions, plutôt que de faire des discours, Monsieur le Président ?
Me ERLINDER :Monsieur le Président, je dois relever que cela nous a permis... nous a permis d'avancer très rapidement. Et si je continue dans ce sens, j'en terminerai dans les délais prescrits.
M. LE PRÉSIDENT :Oui, c'est une bonne chose. Mais est‑ce que vous voulez reformuler votre question ?
Me ERLINDER :Je ne pense pas que c'est nécessaire, Monsieur le Président
M. LE PRÉSIDENT :C'était peut‑être clair, mais reformulez la question.
Q. Est‑ce que vous avez suivi cette question, Monsieur le Témoin ?
R. Je crois qu'il a voulu savoir s'il n'y avait pas de problème « au » fait que nous portions ces uniformes. Si nous étions dans une zone où il y avait les forces ennemies, cela causait un problème parce que nous pouvions tirer sur nos propres hommes. Mais si nous étions entre nous, cela n'avait pas de... cela ne causait pas de problème.
Me ERLINDER :
Q. Est‑ce que vous êtes au courant de quelques exemples de membres « du » FAR portant des uniformes du... de l'APR ?
R. Je n'en connais pas. Je ne connais pas ce genre d'exemples. Nous n'avions pas de camp, donc ils ne pouvaient pas... ils ne pouvaient pas prendre nos uniformes. Cela n'était pas possible.
Q. Vous avez dit tout à l'heure que certains éléments de l'APR ou certains membres du FPR — veuillez rectifier si je me trompe —, de temps en temps, se joignaient aux Interahamwe, habillés en civil. Et je me demande si vous avez quelques exemples de forces gouvernementales ou de gendarmes qui auraient revêtu des vêtements civils pour se mêler aux Interahamwe.
R. Je ne sais pas ce que vous voulez dire lorsque vous parlez de... du FPR... qui se seraient infiltrés au sein du FPR.
Q. Il y a peut‑être eu un problème de traduction, ou peut‑être que je me suis mal exprimé. Ce que je voulais dire, c'est que... Tout d'abord, j'ai cru comprendre que vous aviez dit, dans votre témoignage, que l'APR et peut‑être aussi le FPR, ou des membres de l'APR et du FPR, habillés en civil... et avaient infiltré des groupes d'Interahamwe pour participer à des actions d'Interahamwe, quoi qu'il... quoi que cela puisse être.
R. J'ai bien déclaré cela.
Q. Et je me demandais si vous aviez des exemples, ou si vous saviez s'il y avait des forces gouvernementales rwandaises ou des membres de la Gendarmerie qui s'étaient jamais habillés en civil pour infiltrer les Interahamwe ou pour apparaître comme des Interahamwe.
R. Je n'ai jamais été affecté à ces Interahamwe, donc je ne... Je n'ai pas été témoin de cela, mais mes camarades m'ont dit que, parmi les Interahamwe, il y avait parfois des réservistes, ainsi que des éléments de la Garde présidentielle, même si je n'en ai pas été témoin oculaire.
Q. En ce qui concerne l'entraînement des Interahamwe, quoi que cela ait pu être, est‑ce que vous avez eu l'impression que cela était fait par des réservistes ou par des membres de l'armée régulière, sur la base des renseignements que vous avez pu obtenir ou du point de vue du FPR ?
R. Ce serait de la spéculation. Je sais que les Interahamwe ont subi des entraînements, mais je ne sais pas qui étaient leurs instructeurs.
Me ERLINDER :Monsieur le Président, est‑ce que je peux avoir quelques minutes ? Monsieur le Président, pour accélérer toute cette procédure, je me suis dit qu'il serait sage de souligner certains aspects du livre sans entrer dans les détails, juste pour attirer l'attention de la Chambre sur certaines parties qui semblent… ou qui paraissent utiles, au vu de la Défense.Et, avec votre autorisation, je pense qu'une fois que nous aurons terminé cet exercice — qui ne devrait pas prendre plus d'une heure —, nous serons très proches de la fin de tout cela. Est‑ce que je peux poursuivre, Monsieur le Président ?
Q. Monsieur le Témoin Ruzibiza, est‑ce que vous avez avec vous une copie de votre ouvrage ?
R. Oui.
Q. Alors, ce que j'aimerais faire, c'est plus ou moins parcourir cet ouvrage de façon chronologique et essayer d'attirer l'attention de la Chambre sur certains passages sans donner trop de détails sur le contenu de « ses » livres.
Mme GRAHAM :Objection. Monsieur le Président, je ne pense pas que le livre ait été versé en preuve. Et il s'agit là d'une procédure tout à fait inhabituelle, à savoir produire une déclaration... Je ne vois pas très bien quelle est l'utilité de tout cet exercice.
Me ERLINDER :Est‑ce qu'il faut que je réponde ?
M. LE PRÉSIDENT :Vous aviez l'intention de verser cet ouvrage en preuve ?
Me ERLINDER :Oui, bien sûr, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT :Est‑ce que vous allez commencer avec la table des matières ?
Me ERLINDER :Non, Monsieur le Président. Ce que j'ai l'intention de faire... En fait, nous avons deux possibilités : Soit j'attire l'attention du témoin sur son ouvrage et ce sera ainsi au procès‑verbal — si ce n'est pas déjà fait —, et lui demander de faire un témoignage sur ces questions telles qu'elles sont traitées dans le livre ; ou alors, je peux attirer son attention sur de brefs passages et faire des commentaires. Mais si le Procureur veut contre‑interroger, il me semble que cela est une façon équitable de procéder, parce que nous voulons bien sûr être rapides, mais nous voulons aussi aller en profondeur. Et donc, je ne peux imaginer une façon plus rapide de procéder que celle que j'ai proposée.
M. LE PRÉSIDENT :
Q. Monsieur le Témoin, cet ouvrage que vous avez rédigé, est‑ce que vous vous y tenez… vous tenez à ce que vous y avez déclaré ? Le livre que vous avez écrit... Certaines choses sont formulées dans cet ouvrage, et j'aimerais savoir si cela reflète toujours votre point de vue sur les événements tels que vous les avez décrits dans ce document, dans cet ouvrage.
R. Monsieur le Président, ce livre renferme le témoignage, l'opinion et les idées politiques. Il y a les points sur lesquels je ne peux pas témoigner, et il y a les événements dont j'ai été témoin oculaire. Il y a les passages qui reflètent mon opinion personnelle et il y a les passages où je donne témoignage sur les faits dont j'ai été témoin oculaire. Je ne peux pas donc dire que tout le livre constitue un témoignage.
Q. Mais l'ensemble de cet ouvrage reflète toujours votre point de vue, n'est‑ce pas ?
R. Tout à fait.
M. LE JUGE REDDY :
Q. Une question de suivi : Vous êtes aussi l'auteur d'un document qui a reçu la cote D. B 136, et c'est une déclaration que vous avez faite à la presse avec votre photographie en première page ; c'est bien cela ?
Me ERLINDER :Monsieur le Président, nous avons une version en français et une version en anglais ; je ne sais pas à laquelle vous vous référez.
M. LE JUGE REDDY :Eh bien, je travaille à partir d'une version anglaise.
Me ERLINDER :
Oui, le témoin m'a dit qu'il était plus à l'aise avec la version en français que la version en anglais.
M. LE JUGE REDDY :
Q. Ma question ou mes questions sont de nature très générale. Vous n'avez pas besoin de lire ces documents, Monsieur le Témoin. Mais en ce qui concerne cette... ce document, il contient des affirmations concernant des faits, ou il y a des choses qui sont présentées comme des faits par vous ; et est‑ce que « vous vous tenez » à ce point de vue, ou bien est‑ce que vous avez changé d'avis sur ces faits ?
R. Je m'en tiens toujours à cette déclaration que j'ai « fait » aux médias : Et s'agissant du livre, j'ai plutôt donné des informations en détail. Sinon, l'idée reste la même.
Q. Oui, et cet article contient aussi vos points de vue et vos jugements sur certaines questions. Et vous tenez toujours à ces jugements et opinions, en ce qui concerne les événements qui ont eu lieu au Rwanda au cours de la période que nous évoquons ?
R. J'ai toujours la même position. Mais je me demande si ici au prétoire, je dois m'en tenir uniquement aux faits ou si je dois aussi témoigner et dire ce qui concerne mon opinion.
Q. Non, j'essayais simplement de savoir si « vous vous teniez » toujours à ce que vous aviez dit dans ce document, et c'est tout ce je voulais savoir pour le moment. Je vous remercie.
R. Honorables Juges, je suis d'accord avec ce que j'ai dit dans cette déclaration, mais je ne suis pas sûr si la déclaration en anglais est conforme à la version française.

(Conciliabule entre les Juges)
Q. Je pense que nous découvrirons si c'est le cas ou pas, mais pour le moment, j'ai une traduction en anglais de l'article rédigé en français. Et en fait, l'ouvrage est en français aussi, n'est‑ce pas ?
R. Oui, le livre est en français, et tous les textes. Je suis très confortable en ce qui concerne tous les textes en français.
M. LE JUGE REDDY :Je vous remercie.

(Conciliabule entre les Juges)Maître Erlinder, vous avez souhaité attirer l'attention du témoin sur des points spécifiques de cet ouvrage ?
Me ERLINDER :Oui, Monsieur le Président.
M. LE JUGE REDDY :
Et je présume qu'il y a donc des points qui semblent favorables à votre client ?
Me ERLINDER :Je crois surtout qu'ils permettent de mieux comprendre ce qui s'est passé, ce qui est favorable à mon client.
M. LE JUGE REDDY :
Oui, mais il faut que nous ayons un aperçu équilibré de cet ouvrage ; on ne peut pas voir que certains passages. Vous êtes d'accord avec moi ?
Me ERLINDER :Oui, Monsieur le Juge.
M. LE JUGE REDDY :Donc, qu'est‑ce que vous espérez atteindre avec cette sélection ? Est‑ce que vous ne croyez pas qu'il faudrait qu'on lise tout l'ouvrage pour pouvoir tirer nos propres conclusions ?
Me ERLINDER :Monsieur le Juge Reddy, je pense que c'est ce que la Chambre fera, et je ne pense pas que cela soit contradictoire avec le fait d'identifier des passages spécifiques de cet ouvrage et des points sur lesquels on peut poser des questions au témoin pendant qu'il est là.Je voulais juste remettre les choses dans leur contexte, Monsieur le Juge. En fait, tout a commencé avec l'ouvrage d'Alison Des Forges qui reposait sur ses recherches et ses enquêtes, mais pas sur son expérience en tant que membre de l'une des forces combattantes. Et l'interrogatoire principal a été relativement court, le contre‑interrogatoire relativement long, mais nous avons commencé avec exactement le même type d'exercice. Et essentiellement, ce que nous faisons, c'est que nous présentons un témoin avec un ouvrage de façon à ce que l'autre partie, la partie adverse, puisse contre‑interroger, et que la Chambre puisse poser les questions qu'elle souhaite à l'auteur sur ses opinions, ses conclusions, ses observations. Parce que le fait de simplement verser l'ouvrage en preuve, sans donner la possibilité de poser des questions au témoin, nous semble susceptible de créer des problèmes. Et c'est la même chose pour n'importe quel type d'ouvrage. Ou alors, ça peut empêcher de contre‑interroger sur des aspects qui nous semblent importants dans l'ouvrage. Donc,il nous semble que la meilleure chose à faire, c'est d'identifier les passages qui nous paraissent importants pour donner la possibilité à la partie adverse de contre‑interroger ou à la Chambre de poser des questions. Et ensuite, la Chambre pourra tenir compte de tout l'ouvrage, lorsqu'elle en aura le loisir. Et je pense que la Chambre sera d'accord avec moi pour dire qu'il vaut mieux s'attacher à certains passages spécifiques plutôt qu'à aucun passage ; c'est ce qui serait le cas si nous nous contentons de verser l'ouvrage en preuve.
M. LE JUGE EGOROV :Maître Erlinder, sur la base de ce que vous avez dit, est‑ce qu'il n'y a pas des relations avec la teneur ou le contenu, du livre ? Vos questions, est‑ce qu'elles n'avaient pas un trait avec le contenu du... de l'ouvrage ?
Me ERLINDER :Oui, de temps à autre, parce que j'ai mentionné à plusieurs occasions que je pensais que tel ou tel aspect était dans l'ouvrage ; étant donné que mon français n'est pas très bon, j'ai demandé confirmation.
M. LE JUGE EGOROV :Oui, je parlais de la possibilité de répétition.
Me ERLINDER :Il n'y aura pas de répétition, Monsieur le Juge. Et l'exercice ne prendra pas plus d'une heure.
M. LE PRÉSIDENT :Oui, mais vous voyez, quand il y a contre‑interrogatoire... Vous avez confirmé que vous vouliez verser cet ouvrage en preuve et, ce faisant, vous allez donner matière à un contre‑interrogatoire. Donc il n'est pas nécessaire de procéder de façon verbale pour permettre au Bureau du Procureur d'avoir la possibilité de contre‑interroger ; et ça, c'est l'une des raisons que vous avez évoquées. L'autre raison évoquée, c'est que vous voulez souligner certains passages du livre. Alors, cela peut être fait, bien sûr, dans le cadre de vos conclusions, et je suis sûr que c'est ce que vous ferez à ce moment‑là. Donc, ici, nous courons le risque de procéder à un exercice qui sera répété en fin de parcours de toute manière. Et je crois que notre tâche, ici, c'est essentiellement de s'assurer que, pendant que le témoin est là, nous avons quelque chose en plus.
Me ERLINDER :Eh bien, comme mon Coconseil me le fait remarquer, étant donné que l'ouvrage est en français,le fait de souligner les passages qui nous semblent importants permettra aussi qu'il y ait une traduction de ces passages, et ça me semble être un facteur supplémentaire utile. Et bien sûr que cela va souligner des passages importants, mais pas seulement comme moi je les aurais soulignés, mais comme le témoin le ferait. Et une fois qu'il n'est plus là, il ne peut plus donner d'explications sur son ouvrage ; et moi, ce n'est pas une chose que je peux faire dans mes conclusions. Et j'aimerais suggérer, Monsieur le Président — si je peux me permettre —, qu’il peut respecter les notions d'équité. Permettre au Bureau du Procureur d'utiliser un témoin expert avec un ouvrage qui ne repose pas sur une expérience personnelle qui, ensuite, a donné lieu au développement d'une théorie qui, à notre sens, n'est pas fondée, et me mettre dans une situation où j'ai six heures pour répondre à six semaines de théories fallacieuses quant à ce qui s'est passé au Rwanda. Cela ne me paraît pas équitable. Et ce que j'aimerais demander à la Chambre, c'est la possibilité d'avoir une heure pour permettre à ce témoin de répondre à des questions concernant des aspects spécifiques de son ouvrage, de manière à ce que cela puisse être utile à la Chambre et au Bureau du Procureur. Et moi, je pense que je ne demande pas beaucoup en faisant cela.

M. LE JUGE REDDY :Eh bien, vous savez, moi, ce que j'avais à l'esprit — quand toutes ces questions ont commencé à être évoquées… Si nous vous permettons d'évoquer certains aspects de cet ouvrage qui sont en accord avec votre théorie de ce qui s'est passé au Rwanda ou favorables à votre client, nous devrons permettre au Procureur de traiter de ces aspects de l'ouvrage qui sont contraires à votre thèse. Et donc en fin de compte, il faudra de toute façon lire l'ouvrage ; donc, c'est la raison pour laquelle je ne comprends pas, vous, ce que vous essayez d'atteindre.
Me ERLINDER :Monsieur le Juge Reddy, malheureusement, étant donné que mon français est très rudimentaire, lorsque j'ai lu ce livre, je me suis dit qu'il y avait très peu de choses qui permettaient de soutenir une théorie alternative. Et si... avec... J'aimerais demander à la Chambre de se montrer indulgente, même si j'ai totalement tort, même si ce que je fais en demandant une heure — afin que ce soit versé au procès‑verbal —, pour attirer l'attention sur certains aspects qui sont importants pour ma thèse, eh bien, je pense que le fait de m'accorder cette heure, vu tout le temps qui a été pris précédemment — et une heure, c'est très bref —, ceci permettra d'accroître les connaissances de la Chambre sur ces événements. Et je ne veux pas lire des extraits du livre, je veux juste aborder des questions que je n'ai pas encore abordées et identifier ces points pour qu'on puisse les situer dans le livre et que la Chambre puisse savoir d'où vient l'information. C'est tout ce que je souhaite faire.
M. LE PRÉSIDENT :Maître Erlinder, nous ne cherchons pas à vous empêcher de faire ce que vous demandez, mais simplement, il y a eu une objection et nous sommes en train d'essayer de nous montrer pratiques pour éviter de perdre du temps. Mais vous avez expliqué ce que vous vouliez faire, alors, vous pouvez commencer.
Me ERLINDER :Merci beaucoup, Monsieur le Président. Cet exercice sera assez bref.
Q. Monsieur Ruzibiza, je voulais juste m'assurer que vous aviez bien votre ouvrage sous la main. Je ne pense pas que vous aurez à vous y référer, mais je vais traiter d'une série de questions qui se trouvent dans votre livre, dans leur ordre de présentation. Et donc, si j'ai des problèmes de compréhension, vous pourrez ainsi me corriger en m'indiquant quelle est la partie pertinente dans le livre.
Mme GRAHAM :
Monsieur le Président, c'est suggestif. Je pensais qu'il s'agissait simplement de demander à verser le livre en preuve et si tel avait été le cas, mon Confrère aurait pu continuer. Mais est‑ce qu'il ne doit pas y avoir une décision sur ce point, d'abord ?
M. LE PRÉSIDENT :
Commençons à verser donc l'ouvrage en preuve.

Me ERLINDER :
Oui, merci, Monsieur le Président. Il y a aussi deux autres documents.
M. LE PRÉSIDENT :
Commençons donc avec le livre, puisque c'est du livre qu'il s'agit.
M. MATEMANGA :
« D. NT 216 ».

(Admission de la pièce à conviction D. NT 216)

M. LE PRÉSIDENT :Très bien. Il y a eu référence à d'autres documents. Alors, là, il faudra nous expliquer quelque chose, Maître Erlinder : D'un côté, nous avons « D. B 136 » — nous l'avons en français et nous avons une traduction en anglais. Et puis, il y a un nouveau document que vous avez distribué aujourd'hui, et il me semble que ces documents sont similaires, mais pas identiques.
Me ERLINDER :Monsieur le Président, ils ne sont pas identiques, mais la raison pour laquelle nous produisons ces documents... En fait, au départ, c'étaient les mêmes documents que ceux qui étaient déjà en preuve, mais je voulais pouvoir montrer ces documents au témoin, et donc, je lui ai donné les copies dont nous disposions pour vérifier s'il s'agissait bien d'ouvrages qu'il avait… ou de documents qu'il avait rédigés. Donc, il me semblait qu'il était approprié de verser en preuve les documents identifiés par le témoin. Je ne sais pas s'il y a des différences, je ne pense pas que ce soit le cas, mais étant donné que je n'en suis pas certain, je ne voulais pas prendre le moindre risque.
M. LE PRÉSIDENT :Commençons par la version en anglais, puisque nous préférons tous les deux cette langue. Témoignage du témoin en kinyarwanda, de la page 1 à 32.
Me ERLINDER :Oui, je crois que c'est ça, Monsieur le Président,
M. LE PRÉSIDENT :Et puis, vous avez ensuite « D. B 136 » qui est une déclaration. Et apparemment, c'est le même document, mais la formulation en anglais est différente et la structure du document est légèrement différente et la fin n'est pas tout à fait la même. Donc, le document n'est pas identique.
Me ERLINDER :Je n'en avais pas conscience, Monsieur le Président, mais il faudra, il me semble, verser en preuve le document identifié par le témoin. S'il y a une différence, on pourrait aussi lui montrer le document déjà versé pour qu'il l'identifie, mais il me semble que ce serait une perte de temps.

M. LE PRÉSIDENT :Monsieur Matemanga, pouvez‑vous montrer au témoin « D. B 136 A et B » ?

(Le Greffier d’audience s’exécute)Pendant ce temps, pourquoi ne pas commencer avec vos questions, Maître Erlinder ?
Me ERLINDER :Oui, je serais heureux de le faire.

Monsieur Ruzibiza, pouvons‑nous continuer pendant qu'on organise tout cela ?

Alors en ce qui concerne mes questions, Monsieur le Président, je voulais aborder une question qui se trouve dans l'ouvrage — et je vais suivre la même présentation que dans le livre — et Madame Graham a dit que je ne pouvais pas le faire tant que le livre n'était pas versé en preuve. Est‑ce qu'on devrait pas le faire ?
M. LE PRÉSIDENT :Le livre a été versé en preuve ; cet exercice est terminé. Maintenant, nous ne savons toujours pas ce que vous voulez faire, et nous notons qu'il y a une objection possible, selon la façon dont vous allez poser vos questions, car l'utilisation du livre peut être suggestive en permettant au témoin de... ou en faisant des commentaires au témoin. Donc, il s'agit toujours du même problème de méthodologie, mais je suis sûr que vous essaierez de ne pas tomber dans cette erreur.
Me ERLINDER :Oui, Monsieur le Président. Pendant que le témoin lit, peut‑être que nous pourrions aussi verser en preuve la carte avec l'emplacement où il se trouvait au Rwanda ? Il s'agit d'un carte avec un cercle noir... des cercles noirs.
M. LE PRÉSIDENT :Monsieur le Témoin, c'est vous qui avez fait ce croquis n'est‑ce pas — ou cette carte ?
R. Oui, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT :Y a‑t‑il des objections à ce que ce document avec des flèches...
M. RASHID : Monsieur le Président, je crois que ça avait déjà reçu la cote D. NT 215.
M. LE PRÉSIDENT :Oui, vous avez raison, c'est bien le cas. Donc, en fait, Monsieur Matemanga… il semble qu'il n'y ait pas d'objection ?
M. MATEMANGA :« D. NT 217 »
(Admission de la pièce à conviction D. NT 217)

Me ERLINDER :Il y a une certaine confusion en ce qui nous concerne, Monsieur le Président. Veuillez m'excuser, mais il y a deux cartes, je crois : Il y en a une avec des cercles, qui indiquait où se trouvait le témoin au Rwanda ; et l'autre, qui était la première utilisée dans sa déposition, qui montre l'emplacement des unités. Et ça, ça a déjà été versé en preuve, n'est‑ce pas ? Alors, vous savez, quelquefois, je ne fais pas attention.
M. LE PRÉSIDENT :Non, je crois que tout le monde est d'accord sur le fait que « 214 », c'est la fiche d'identification personnelle ; « 215 », c'est la carte ; « 216 », c'est le livre ; et « 217 », c'est le croquis avec les flèches.
Q. Monsieur le Témoin, est‑ce que vous avez eu la possibilité de lire « les » documents D. B 136 ? Je pense que vous avez regardé la version en français ?
R. Je suis d'accord avec la version française. S'agissant de la version anglaise, je ne suis pas en mesure de contrôler la traduction qui a été faite.
Q. Pouvez‑vous maintenant examiner cette version française pour être certain que c'est une version complète de votre déclaration ?
R. J'ai mis ma déclaration sur les sites Internet et les gens ont tiré le texte de mon document. Pour ce qui me concerne, je constate que c'est la déclaration que j'ai faite ; bien sûr, sous réserve qu'il y aurait eu des manipulations.
M. LE PRÉSIDENT :J'ai le document D. B 136 A, qui se termine par les remarques suivantes — et je lis à partir du français : « On devrait entamer des enquêtes sur les causes qui ont rendu le génocide possible. » Voilà ce que je lis à la dernière page — je traduis de l'anglais. C'est tout en majuscules.
R. Voulez‑vous reprendre, Monsieur le Président ?
M. LE PRÉSIDENT :Le dernier paragraphe sur la dernière page se lit ainsi : « On devrait entreprendre des investigations sur les causes qui ont rendu possible ce génocide qui s'est effectué en si peu de temps, et sur la responsabilité de chacun des belligérants, je veux dire le gouvernement et les rebelles. »
Q. Est‑ce que c'est là le dernier paragraphe de votre déclaration, Monsieur le Témoin ?
R. Tout à fait.
M. LE PRÉSIDENT :C'est le « D. B 136 », et c'est là notre point de référence.
Me ERLINDER :Maintenant, il faudrait voir si l'anglais est tout à fait la même chose ; le témoin dit qu'il n'est pas tout à fait à l'aise avec l'anglais.
M. LE PRÉSIDENT :Poursuivez, Maître Erlinder.
Me ERLINDER :
Q. Monsieur Ruzibiza, s'agissant de votre livre, est‑ce que vous avez votre photo sur la couverture ? Qui est la personne dont le portrait est sur la couverture ?
R. …
Q. Vous avez votre photo à l'arrière — la dernière page de la couverture ? Est‑ce que, à la première page de la couverture, on parle de vous, d'une manière ou d'une autre ?
R. Non, je ne figure nulle part.
Q. Je vais, par souci d'équité, faire des références à certains passages de votre livre et vous demander d'expliquer. Vous pouvez consulter le livre, mais c'est à vous de choisir. Dans l'introduction à votre livre, vous dites que votre point de vue quant à savoir si c'était un combat entre les Hutus et les Tutsis, est‑ce qu'il s'agissait d'un combat ethnique ou d'un combat politique, est difficile... cela est difficile à dire ; est‑ce que vous pouvez expliquer ce que vous voulez dire ?
R. Le conflit entre l'APR et les forces du Gouvernement rwandais, même si les extrémistes ont qualifié ce conflit d'ethnique, cela n'est pas vrai parce qu'en réalité, c'était un conflit menant à la prise du pouvoir, que ce soit du côté du FPR ou du Gouvernement rwandais. Au départ, ce n'était pas un conflit ethnique, même si, par la suite, on l'a transformé dans ce sens.
Q. Je pense que vous avez dit dans votre ouvrage... Vous avez parlé de certaines attitudes que vous avez constatées « chez » le FPR ou « chez » l'APR en ce qui concerne les Tutsis francophones qui étaient restés au pays — je crois que c'est dans la section où vous expliquez la raison d'être de votre livre. Est‑ce que vous pouvez expliquer ce que vous avez voulu dire ?
R. Vous parlez de personnes francophones, de personnes qui se trouvent à l'intérieur du pays ? Il s'agit d'une question double, Maître. Posez‑moi une question sur un sujet spécifique.
Q. Est‑ce que vous pouvez indiquer si l'APR ou des membres de l'APR ou du FPR... du FPR avaient des attitudes spécifiques vis‑à‑vis des Tutsis qui étaient restés au pays plutôt que de s'exiler, pour s'installer à l'extérieur ?
R. Dans l'ensemble, au sein du FPR dont je faisais partie, il y avait des extrémistes qui pensaient que les Tutsis qui étaient restés au Rwanda avaient décidé de rester avec l'ennemi — c'est‑à‑dire le Président Habyarimana — et que donc, on ne pouvait pas avoir confiance en eux.
Q. Est‑ce que le FPR les rangeaient parmi les ennemis ? Je ne voudrais pas vous prêter des mots, Monsieur le Président... Monsieur le Témoin. Expliquez.
R. Quand vous parlez du FPR, c'est vague, parce qu'il n'y a pas eu toujours une politique uniforme du FPR, pour ainsi dire ; c'étaient des opinions personnelles des membres du FPR.
Q. Avez‑vous constaté des différences entre l'attitude des responsables de l'APR et du FPR et des militants ou des sympathisants de base, sur cette question de l'attitude vis‑à‑vis des Tutsis francophones qui sont restés au pays pour collaborer avec le régime de Habyarimana ? Vous pouvez expliquer les différentes opinions qui existaient au sein du FPR ?
R. Je donne mon opinion personnelle ; il ne s'agit pas d'un témoignage sur les faits. Mais la plupart des commandants militaires de l'APR ou des dirigeants politiques du FPR, ils... ils avaient... ils avaient, eux, d'autres visées, des visées politiques. Mais pour nous, il s'agissait d'une guerre de libération ; nous cherchions à libérer notre pays.
Q. Est‑ce que vous pouvez indiquer, à l'attention de la Chambre, ces autres intentions dont vous parlez et l'attitude des gens de la base, comme vous‑même, au sein du FPR ?
R. Par exemple, en ce qui me concerne, je ne voyais pas pourquoi il fallait sacrifier les Tutsis pour prendre le pouvoir. Mais certains de nos dirigeants politiques pensaient que cela ne causait aucun problème de sacrifier les Tutsis pour pouvoir obtenir le pouvoir. C'est une différence d'opinion importante.
Q. Dans le passage de votre livre où vous parlez de la période de 90-93 — c'est‑à‑dire vers la page 100 —, vous dites que l'ancien Roi du Rwanda... que vous êtes d'accord avec l'ancien Roi du Rwanda sur le fait de commencer la guerre en 1990 ; est‑ce que vous avez une observation à ce sujet ? Et si j'ai mal interprété votre livre, veuillez me corriger.
R. Dans mon livre, je faisais une analyse et je voulais savoir s'il était nécessaire d'envahir le pays en octobre 1990 ou s'il fallait attendre. Mais plus tard, je me suis rendu compte que cela était nécessaire ; et c'est pour cela que j'ai rejoint l'armée, parce que j'ai constaté que la guerre que menait le FPR était une guerre légitime.
Q. Dans le passage de votre livre — c'est à la page 170 —, période d’août à décembre 1992, vous dites que le FPR a présenté des cadavres aux journalistes et que, probablement, certains des assassinats par le FPR, à l'époque, étaient une erreur du fait des conséquences que cela pourrait avoir plus tard, en termes de représailles — c'est la page 168... c'est aux pages 168… 170. Est‑ce que vous pouvez faire... donner un commentaire sur ces questions ?
R. La question n'est pas claire. Je ne vois pas de quoi vous parlez, Maître.
Q. Oui, peut‑être que je ne suis pas très clair, mais j'essaie de me conformer aux exigences ou aux préoccupations du Procureur qui ne voudrait pas que j'oriente les questions.
Mme GRAHAM :Oui, Monsieur le Président, il est en train d'évoquer le texte du témoin avec lui‑même (sic). Il est en train d'orienter le témoin. Ce n'est pas parce que nous ne soulevons pas d'objection…
Me ERLINDER :Monsieur Ruzibiza, je m'excuse de ce qui se passe.
Q. Est‑ce que vous vous souvenez de ce que vous avez écrit entre les pages 168 et 178 de votre livre ? Si vous ne vous en souvenez pas, est‑ce que vous pouvez vous rafraîchir la mémoire en examinant ces pages pour nous dire si vous vous en souvenez ?
R. Maître, je sais... je connais le contenu de mon livre, mais j'aimerais que vous soyez spécifique : Il ne faut pas me donner des pages, mais il faut me donner un sujet précis.
Me ERLINDER :Oui. Je vais faire de mon mieux pour me conformer aux exigences du Procureur, de la Chambre et du témoin, mais je crois que je vais le faire à mes dépends ; mais je vais tenter.
Mme MULVANEY :Monsieur le Président, cela ne nous gêne pas s'il oriente le témoin, nous avons des objections. Mais il faudrait tout simplement qu'il pose ses questions et nous en aurons terminé bientôt. La Chambre sait comment soupeser et évaluer la force probante des éléments qui sont fournis. Il faudrait simplement que nous poursuivions, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT :Oui, c'est cela ; c'est ce que nous allons faire. Allez‑y.
Me ERLINDER :
Q. Monsieur le Témoin… Monsieur Ruzibiza, aux pages... Je ne vais pas vous demander de faire des commentaires sur des pages, mais je parle des faits qui figurent dans votre livre : Est‑ce que vous vous souvenez du fait que le FPR a présenté des cadavres à des journalistes pour des raisons de propagande ou des raisons politiques ?
R. De quelle période parlez‑vous, Maître ?
Q. Je me réfère au passage de votre livre qui parle de la période d'août à décembre 92 ; mais si vous ne vous en souvenez pas, nous allons passer à autre chose.
R. Il y a des exemples où il y a eu des combats, et lorsque les journalistes venaient sur les lieux, le FPR prétendait que c'était l'armée gouvernementale qui avait tué ces gens. Si vous parlez de cette période, cela doit être à Kinyabishange ou à Ngondore. Il y a eu des combats, et le FPR a montré des cadavres aux journalistes en disant que c'était l'armée gouvernementale qui avait tué ces gens, alors que c'était plutôt le FPR. C'est là un exemple que je peux vous donner.
Q. Monsieur le Témoin, sans citer tous les exemples, est‑ce qu'il y a eu d'autres cas où le FPR a utilisé ce genre de stratagème ? Est‑ce que c'était quelque chose de fréquent ou pas ?
R. Quand vous dites que cela se faisait régulièrement, je ne comprends pas ce que vous voulez dire réellement. Mais souvent, quand des photographes venaient sur les lieux et qu'il y avait des cadavres, le FPR profitait de l'occasion pour imputer ces massacres à l'armée gouvernementale.
Q. Vous avez tout à l'heure parlé d'autres incidents, c'est‑à‑dire des assassinats perpétrés par le FPR et imputés aux forces gouvernementales. Est‑ce que c'était une pratique courante que le FPR impute aux forces gouvernementales des incidents dont les forces gouvernementales n'étaient pas responsables, pour des raisons de propagande et de tactique, tout simplement ?
R. Le FPR combattait dans le nord du pays. Et dans cette région, il n'y a pas eu de massacres commis par le gouvernement ; ce genre de massacres a été commis à Kibilira ou à Bugesera. Et il y a des tueries qui ont été « commis » dans le nord du pays par le FPR, et le FPR n'a jamais nié cela ; simplement, on n'a pas fait publicité de ce genre de massacres. Je ne vais pas dire qu'il s'agissait d'une propagande du FPR.
M. LE PRÉSIDENT :
Q. Monsieur le Témoin, je ne sais pas quelle sera la pertinence des noms. Est‑ce que vous pouvez épeler ce nom, « Ngondore », pour nous, s'il vous plaît ?
R. J'ai parlé de Ngondore. J'avais également oublié de mentionner un autre endroit qui s'appelle Ngarama. J'ai aussi parlé de Base. Et ce genre d'incident a eu lieu également à Kinigi. Tout cela dépend de la période concernée.
Q. Oui, nous demandons simplement l'orthographe, Monsieur le Témoin. Est‑ce que vous pouvez nous aider à orthographier ce nom ?
R. « Base » s'épelle : B‑A‑S‑E ; « Base ». J'ai aussi parlé de « Ngarama », qui s'épelle : N‑G‑A‑R‑A‑M‑A. J'ai mentionné « Kinigi » : K‑I‑N‑I‑G‑I. J'ai aussi parlé de « Kidaho », qui s'épelle : K‑I‑D‑A‑H‑O. Il y a plus d'exemples que ça, mais je m'en tiens à cela.
M. LE PRÉSIDENT :Merci.
Me ERLINDER :
Q. Monsieur le Témoin, vous avez dit qu'il y a eu des massacres commis par le FPR dans le nord. Si vous prenez la période entre 1990 et 1994, pouvez‑vous indiquer les zones où cela a eu lieu ? Vous n'avez pas besoin d'indiquer les noms des localités. Est‑ce que c'étaient des zones contrôlées par le FPR ou par d'autres forces ?
R. Je voudrais que vous ne continuiez pas à parler du FPR en général, comme si tout le FPR ne faisait que massacrer les gens. Il vaut mieux préciser que certains membres du FPR ont commis certains actes, Maître.
Q. Monsieur Ruzibiza, je note vos observations. Vous avez tout à fait raison, nous ne parlons pas du FPR, nous parlons de l'APR. Je pense que, dans votre livre, vous avez dit... — et sans rentrer dans les détails, parce que les Juges peuvent eux‑mêmes lire votre livre — vous avez dit qu'il y a eu des massacres par certains éléments de l'APR qui ont eu une incidence négative sur les Tutsis du pays plus tard, et que cela a mis en péril les Tutsis. Est‑ce que vous pouvez expliquer ? C'est vrai que c'est couvert de manière extensible dans votre livre, mais je voudrais avoir vos observations là‑dessus.
R. Je suis originaire du Rwanda et je n'avais jamais vu une situation de haine extrême entre les Hutus et les Tutsis, et qui aurait pu conduire les Hutus à vouloir exterminer les Tutsis. Et à cause de certains actes qui ont été posés par les militaires de l'APR, certains Hutus ont eu une grande animosité envers les Tutsis, de telle manière que, lorsqu'on leur a demandé de tuer les Tutsis, cela a été très facile. C'est ce que je voulais dire.
Q. Pendant la période précédant immédiatement... Pendant la période 1993-1994, est‑ce qu'il y avait des divergences de points de vue entre l'APR et le FPR en ce qui concerne les Accords de paix d'Arusha ?
R. Les militaires, dont moi‑même, nous pensions que les Accords d'Arusha pourraient résoudre la situation mieux que les combats. Mais, par exemple, le Président Kagame nous disait qu'il ne fallait pas... il ne fallait pas penser que les négociations politiques allaient résoudre le problème, mais qu'il valait mieux utiliser les armes.
Q. Comment a‑t‑il transmis cette information aux troupes ? Est‑ce que vous pouvez expliquer la procédure suivie ?
R. Après la signature des Accords d'Arusha en août 1993, Kagame a fait des tournées parmi toutes les unités du Mutara à Ruhengeri, et il s'adressait aux militaires et il rencontrait les officiers et leur disait quelle était l'attitude à prendre vis‑à‑vis des Accords d'Arusha. Et souvent, il nous demandait s'il était possible de cohabiter avec les militaires des FAR ; et chaque fois, quand il faisait ses discours, il prenait une kalachnikov et nous disait que c'est cela qui allait nous permettre d'entrer à Kigali. Et donc, pour nous, nous comprenions que nous devions aller jusqu'à Kigali et que nous allions entrer à Kigali grâce aux armes et pas grâce aux négociations politiques.
Q. Monsieur Ruzibiza, en poursuivant la lecture de votre livre, vous avez mentionné un incident survenu à Muhura avec Kagame — je crois que c'était en mai 1994, je peux me tromper —, mais est‑ce que vous vous souvenez de ce passage de votre livre ? Et si oui, est‑ce que vous pouvez expliquer à la Chambre de quoi il s'agissait ?
R. Je me souviens de cela. Mais il s'agit de témoignages que j'ai reçus d'autres personnes ; et pour moi, il s'agit de témoignages crédibles. C'étaient des gardes du corps du Président Kagame, et ils m'ont dit que, à un certain moment, Kagame est parti de son bar où il avait rencontré Ayala Lasso, et quand ils sont arrivés à Musha, ils ont trouvé un groupe de personnes, et Kagame a dit qu'il fallait tirer sur ces gens. Et il paraît que lui‑même a personnellement tiré sur ce groupe de gens. J'ai reçu ces témoignages de personnes qui faisaient partie de la garde du Président Kagame.
Me ERLINDER :J'ai encore juste quelques questions à poser, Monsieur le Président.
Q. Monsieur le Témoin, vous avez dit que vous aviez des connaissances concernant ce qui est arrivé aux évêques de Kabgayi. Est‑ce que vous pouvez maintenant expliquer à la Chambre ce que vous savez de ces incidents ?
R. Je n'ai pas été témoin oculaire de cela ; il s'agit de témoignages que j'ai reçus d'autres personnes, d'après mes enquêtes que j'ai faites au sein du bataillon 57 et au sein de la garde du Président Kagame. Donc, j'ai appris certaines informations, et j'ai appris que c'est Paul Kagame qui a donné l'ordre au colonel Ibingira de tuer ces gens. Le colonel Ibingira avait hésité à faire cela, mais Kagame lui a précisé qu'il fallait le faire le jour même parce qu'il ne serait plus possible de le faire plus tard.
Me ERLINDER :Il y a eu un problème de traduction : Nous lisons sur le CaseView « Kagage » au lieu de « Kagame ».
R. J'ai parlé de Kagame.

Q. Monsieur Ruzibiza, il y a de nombreux exemples, dans votre livre, d'incidents ou d'événements, et nous n'allons pas évoquer tout cela parce que la Chambre pourrait poser des questions concernant des incidents qui ont été imputés aux forces gouvernementales, alors que c'étaient des incidents perpétrés par le FPR ; je ne vais pas rentrer dans ces détails, c'est assez clair. Mais je pense que vous avez fait un témoignage beaucoup plus clair, et vous auriez pu donner un témoignage beaucoup plus clair s'il n'y avait pas eu de contrainte de temps.
L'INTERPRÈTE ANGLAIS‑FRANÇAIS :Les interprètes n'ont pas suivi, mais il a dit : « Est‑ce qu'il y a d'autres organismes qui auraient traité de ces événements ? »
R. J'ai donné un témoignage en France, relativement à l'attentat contre l'avion du Président Habyarimana ; c'était en 2003. J'ai aussi donné un témoignage en Espagne ; et avant mon arrivée ici, je me trouvais en Espagne. Il s'agissait de parler des massacres du FPR, mais plus spécifiquement des tueries perpétrées contre les médecins ou les religieux ou missionnaires espagnols qui se trouvaient au Rwanda, et ces espagnols ont été tués parce qu'ils donnaient des informations aux médias sur les exactions commises par le FPR, et donc, le FPR tuait ces gens avant que l'information ne s'ébruite. J'ai aussi donné un témoignage relativement aux massacres commis à Bwindi Parc au Congo. Je dois donc aller déposer aux États‑Unis d'Amérique où se tient ce procès. Donc, il s'agit de trois témoignages que j'ai « faites » devant trois instances différentes, à l'exception de ma déposition que je fais aujourd'hui.
Me ERLINDER :
Q. J'ai oublié de vous poser une question tout à l'heure, Monsieur le Témoin : Monsieur Ruzibiza, est‑ce que vous savez d'où venaient les missiles ou bien est‑ce que… comment les missiles sont arrivés aux collines de Masake ? Les missiles utilisés pour abattre l'avion présidentiel, vous savez comment ils sont arrivés là‑bas ?
R. Nous avions deux types de missiles : Il y avait le SA7 que nous utilisions habituellement, et il y avait ces missiles de SA16 qui étaient venus d'Ouganda, que nous n'utilisions pas habituellement. Je pense donc qu'ils sont venus d'Ouganda ; ils ont transités par Mulindi avant d'arriver au CND et, finalement, à Masaka.
Q. Monsieur Ruzibiza, est‑ce que vous connaissez personnellement ou professionnellement l'un ou l'autre des Accusés en la présente affaire ?
R. Je ne connais aucun des Accusés. J'ai seulement pu reconnaître le colonel Bagosora parce que j'ai déjà vu sa photo.
Q. Est‑ce que vous avez des informations... ou est‑ce que vous avez pu noter personnellement ou être témoin oculaire de leur activités au cours de la tragédie au Rwanda ? Est‑ce que vous avez pu le voir, vous‑même ?
R. Non.
Q. Monsieur Ruzibiza, quelle est votre situation, en matière de sécurité, dans le pays où vous résidez à l'heure actuelle ?
R. Je vais bien. Je n'ai pas de problèmes, même si je m'attends à ce que, un jour ou l'autre, je sois inquiété parce que je donne des informations qui dérangent certainement le Gouvernement rwandais.
Q. Est‑ce que vous avez une protection régulière offerte par votre pays de résidence, à l'heure actuelle, sur une base permanente, continue ?
R. Je bénéficie d'une protection spéciale et j'ai aussi un système d'alarme que j'utilise chez moi. Et quand je dois me déplacer, je me fais accompagner d'un policier. Mais, sinon, je mène une vie normale.
Me ERLINDER :Monsieur le Président, est‑ce que je peux consulter mon client une minute ? Je pense que nous sommes proches de la fin.

(Concertation entre Maître Erlinder et son client)Monsieur le Président, je suis très heureux de pouvoir annoncer que la Défense a défendu sa thèse en six heures plutôt qu'en six semaines. Et nous sommes reconnaissants à la Chambre de nous avoir permis de le faire.
M. LE PRÉSIDENT :Merci. Le prochain Conseil de la défense ?
Me SKOLNIK : Ce sera moi, Monsieur le Président. Laissez‑moi quelques secondes pour réunir mes documents et en distribuer.

CONTRE-INTERROGATOIRE
PAR Me SKOLNIK :À la fin de votre livre, il y a une carte appelée « carte 4 ». Pour ceux qui n'ont pas une copie de cet ouvrage, j'ai fait des photocopies de la carte en question. Est‑ce que le Greffe pourrait les distribuer à ceux qui en auraient besoin ?

(Le greffier d'audience s'exécute)Monsieur Ruzibiza, je disais donc que j'ai essayé de scanner cette image ; ça n'est pas un vrai succès.
Q. Quoi qu'il en soit, ce que j'aimerais savoir, c'est que vous nous avez dit, lorsque vous avez commencé votre déposition aujourd'hui qu'il y avait huit unités mobiles...
M. LE PRÉSIDENT :Maître Skolnik, il s'agit d'un contre‑interrogatoire, n'est‑ce pas ?
Me SKOLNIK : Oui, Monsieur le Président.
Q. Vous avez dit que le FPR avait huit... huit unités mobiles. Laissez‑moi vous rafraîchir un peu la mémoire, vous avez dit : « Alpha, Bravo, Charlie, la 7e, la 21e, la 101e, la 51e et la 7... la 71e » et vous avez aussi mentionné la 105e et la 53e, et je crois que vous avez dit aussi qu'il y avait le 3e bataillon qui était au CND. Est‑ce que c'est exact ?
R. Le nombre de ces bataillons est correct, mais quant à l'appellation de ces unités, il y a eu des erreurs. Si le Conseil de la défense le permet, je peux citer ces différentes appellations de ces unités.
Q. Oui, je souhaiterais que vous le fassiez.
R. Je vais commencer par le Mutara. Il y avait l'unité mobile n° 157, il y avait le 7e... la 7e unité, la 21e, la 101e ; il y a Bravo, Alpha ; il y a la 59e, ainsi que Charlie. Telles sont les unités que nous appelions unités mobiles. Il y avait le 3e bataillon ainsi que le bataillon de la police militaire ; telle était la situation. Je parle donc des unités qui pouvaient être envoyées au front pour mener la guerre.
Q. Très bien. Alors, ai‑je raison de dire que sur cette carte — la carte 4 —, vous avez montré, sur trois axes, quelles étaient les positions des troupes du... de l'APR du 6 avril jusqu'à... alors qu'elles se déplaçaient, plus tard, en avril et en mai ; c'est bien ça ?
R. La question n'est pas claire, Maître.
Q. Très bien. Alors, il y a trois axes que je distingue sur votre carte : L'axe Mutara, l'axe Byumba et l'axe Ruhengeri. Et vous avez expliqué, en dessous, avec une flèche noire qui dit : « Mouvement des troupes de l'APR jusqu’à la 3e semaine de mai 1994 » ; ça, c'est la flèche noire ?
R. C'est exact.
Q. Et sous cette flèche, il y a « mouvement des troupes de l'APR vers Kigali », et on mentionne les unités, « respectivement les 7, 8 et 9 avril » ?
R. C'est correct.
Q. Bien. Donc, je ne veux pas me répéter et répéter ce que vous avez déjà écrit ici, qui est explicite, mais ai‑je raison de dire que ce que vous montrez avec ces flèches, c'est comment les différentes unités mobiles ou bataillons se déplaçaient après que l'avion présidentiel ait été abattu ? Je ne dis pas qu'elles se déplaçaient toutes en même temps, mais vous avez montré leur emplacement et leur destination finale ?
R. C'est correct.
Q. Alors, vous nous avez dit préalablement, alors que Maître Erlinder vous posait des questions, vous nous avez dit que chacune de ces unités — ou forces mobiles ou bataillons —, était composée d'environ 2 000 hommes chacune, et qu'il y avait certaines unités qui avaient 2 500 hommes ; c'est bien cela ?
R. Je n'ai pas parlé de 2 500 hommes de troupes, j'ai plutôt parlé de 2 000 et quelques.
Q. Très bien. Alors, est‑ce que vous pourriez expliquer à la Chambre quelle était la nature de l'armement que ces forces mobile utilisaient ? Quels types d'armes utilisaient ces unités ? Vous pouvez commencer avec les armes légères, les mortiers, l'artillerie. Est‑ce que vous pouvez nous expliquer de quoi ils disposaient ?
R. L'arme qui était le plus souvent utilisée était une... était un kalachnikov ; chaque militaire en possédait. Nous avions des armes d'appui telles que les mitrailleuses lourdes, ainsi que des armes qui lançaient des obus, ou bien des roquettes. Il y avait l'artillerie lourde — telle que Katyusha, mortiers — qui était utilisée à différentes occasions. Nous avions aussi quelques missiles. Chaque unité avait ses propres missiles pour protéger... pour se protéger. Nous avions également des armes qui ressemblaient à celles des FAR, étant donné que nous les avions « pris » sur ces mêmes FAR. Sinon, ce qu'ils avaient de plus était des hélicoptères ainsi que des véhicules blindés.
Q. Est‑ce que vous êtes en train de dire que vous avez saisi des hélicoptères ? Je veux être certain d'avoir bien compris la traduction.
R. J'ai plutôt dit que les seules armes que nous n'avions pas et « que » les FAR disposaient étaient plutôt des hélicoptères ainsi que des véhicules blindés.
Q. D'accord. Merci. J'avais mal compris votre réponse. Merci de cet éclaircissement.Alors, pourriez‑vous me dire... Car vous avez parlé de Katyusha ; est‑ce que vous pouvez nous dire quel était le... le calibre de ces armes ? Parce que, moi, je ne suis pas un spécialiste en armes, je ne suis pas un expert en… militaire.
Q. Le calibre de Katyusha est de 107 millimètres, et peut lancer des bombes, l'une... plutôt, des roquettes — l'une pesant 20... 20 kilogrammes —, et peut atteindre la portée de 8 kilomètres.
Q. Est‑ce que... ou est‑ce que les troupes étaient aussi équipées de AD1 ou AD2 ou de mortiers militaires... pardon, de 81 ou 82 millimètres ?
R. J'ai dit que nous avions des différents types de mortiers qui partaient du calibre de 60 à 81, 82 et (inaudible) 20. C'était là la gamme de ces types de mortiers.
Q. Est‑ce que vous aviez du... des canons de 75 millimètres ou de l'équipement de 75 millimètres ?
R. Nous en avions. Mais la plupart de ces mortiers, nous... nous les avions pris à l'armée gouvernementale.
Q. Qu'en est‑il de l'artillerie ? Est‑ce que l'APR utilisait des pièces d'artillerie ?
R. Je ne sais pas ce que vous voulez dire par « artillerie » mais, dans notre armée, nous appelions même Katyusha « artillerie ». Il y avait un mortier, type 120 millimètres de calibre. Nous les utilisions et nous les appelions tous « artillerie ».
Q. Bien. Je comprends. Mais est‑ce que vous aviez des plus grosses pièces d'artillerie qui avaient une portée plus longue, comme 15 kilomètres ou ce type de distance ?
R. Nous avions un mortier 122 qui pouvait atteindre une longue distance, plus que Katyusha et plus que le mortier 120. Nous avions également le mortier 126. Tels sont les mortiers qui avaient une longue portée, plus que les autres.
Me SKOLNIK :Merci. Alors, est‑ce que nous pourrions revenir à votre carte — celle que j'évoquais ? Monsieur le Président, je ne pense pas qu'il sera nécessaire de produire cette carte comme pièce à décharge, étant donné qu'elle est déjà dans le livre.
M. LE PRÉSIDENT :C'est parfait.
Me SKOLNIK :
Q. Monsieur Ruzibiza, est‑ce qu'on pourrait voir l'acte... l'axe Mutara qui se trouve sur votre carte ? Et vous avez montré la 7e et la 150e unités mobiles. Est‑ce que vous pouvez nous dire quels étaient les mouvements ? On voit la flèche noire qui va vers le sud, et on voit aussi qu'elle va vers l'ouest. Alors, est‑ce que vous pourriez expliquer les mouvements des unités à partir de Mutara — je présume, jusqu'à Kibungo et vers Kigali ? Est‑ce que vous pouvez nous expliquer de quoi il s'agit exactement, de façon à ce que nous ayons votre interprétation de votre carte ?
R. Le bataillon... Le 7e bataillon et 157e sont descendus en parallèle. Et arrivés à Kayonza, les deux bataillons se sont séparés, et le 104... le 157e bataillon s'est rendu à Kibungo tandis que le 7e bataillon a pris la direction de Kigali, telle qu'indiquée par la flèche. Le 157e a continué sur Kibungo pour arriver à Bugesera, et il est passé à Gitarama pour se rendre à Butare. Telle est l'explication que je peux vous donner ; telle est l'interprétation que vous pouvez retenir de ces différents mouvements.
Q. Merci beaucoup parce que, grâce à cette interprétation, il n'y a plus aucun doute possible. Alors, si nous voyons l'axe Byumba, vous avez mentionné, sous le rouge : « Alpha », « Bravo », « 59e », « 101e » ; c'est bien cela — dans la partie en rouge ?
R. C'est exact. Ces unités se trouvaient à cet endroit, avant donc de se rendre à Kigali aux... aux dates que j'ai indiquées.
Q. Oui. Et vous avez mentionné, dans l'encadré au‑dessus de la partie en rouge, « Position de l’APR au 6 avril 1994 » ?
R. C'est exact.
M. LE PRÉSIDENT :Est‑ce qu'on peut avoir la traduction, s'il vous plaît ? « Position de... » ?
Me SKOLNIK :
Q. Et je présume, Monsieur Ruzibiza, que vous expliquez avec cette carte où sont allées les unités à partir du 6 avril et par la suite ; c'est bien cela ?
R. Dans la nuit du 6, l'une de ces unités, à... à savoir la 21e qui a attaqué Byumba. Sinon, les autres, le jour suivant, se sont rendues à Kigali.
Q. Bien. Serait‑il exact de dire que c'était la 21e qui a encerclé Byumba, ou est‑ce que d'autres unités qui sont mentionnées ici sont venues à l'aide de la 21e pour aller ensuite ailleurs, ou bien il n'y avait que la 21e qui combattait à Byumba ?
R. La 21e unité est restée à Byumba, tandis que les autres se sont rendues à Kigali. Ces unités pouvaient laisser une compagnie sur place et continuer vers Kigali. La 21e est allée bloquer la route pour empêcher l'intervention de l'armée rwandaise. C'est donc la 20... la 21e qui est restée sur place, tandis que les autres sont... ont continué sur Kigali.
Q. Très bien. J'ai juste encore une question sur cet axe, parce qu'au niveau de la flèche rouge, dans la légende sous la carte, vous dites qu'il s'agissait des mouvements des troupes pour la 7e... pour le 7, le 8 et le 9, et la 21e unité après la chute de Byumba dans la troisième semaine d'avril 1994. Alors, dois‑je comprendre que la 21e est restée là tout le temps jusqu'à la chute de Byumba et que les autres unités étaient là les 7, 8 et 9, et sont parties ensuite ? Est‑ce que je... je l'interprète bien ?
R. L'unité... La 21e unité est restée au complet sur place, tandis que d'autres y ont laissé quelques unités. Après la chute de Byumba, les unités qui étaient restées et qui composaient d'autres unités qui... de compagnies, plutôt, qui étaient restées et qui composaient les unités qui étaient parties sur Kigali, ont continué également avec la 21e unité sur Kigali, donc après la chute de Byumba.
Q. Bien. Pourriez‑vous me donner une idée du nombre d'unités venant d'Alpha, Bravo, 59e, 21e et 101e... se trouvaient avec la 21e ? En d'autres termes, est‑ce que c'était une compagnie pour chaque unité ? Vous pouvez me donner une idée ?
R. Je vais être plus clair. Et nous... 59 a laissé une compagnie, et l'unité 101 a laissé deux unités. Alpha est partie en entièreté. L'unité Bravo n'a laissé aucun militaire sur place. Donc, Bravo est partie en entièreté, et Alpha est partie en entièreté. 50... La 59e a laissé une unité et la 101e a laissé deux unités.
Q. Très bien. Alors, quand vous dites « unités », de combien de personnes parlons‑nous ?
R. Quand je parle d'unités, je parle d'unités mobiles — Alpha et Bravo — qui avaient... qui avaient... qui avaient 2 000 « effectifs » ou légèrement plus. Et chaque unité avait 10 compagnies. Et si l'unité a laissé un... une compagnie à Byumba, il est... elle est partie avec neuf autres compagnies à Kigali.
Q. Très bien. Et quand vous dites que la 101e a laissé deux unités, en fait, il s'agit de 200 personnes ou de deux compagnies ; c'est bien cela ?
R. J'ai dit que l'unité 101 avait laissé trois compagnies, et que la... l'unité 59 avait laissé une compagnie à Byumba.
Me SKOLNIK :
Q. Bon, il y a peut‑être eu un problème de traduction. Quoi qu'il en soit, merci beaucoup.Quand vous dites que la 101e a laissé trois compagnies derrière elle, nous parlons de 300 hommes ?
R. Les compagnies de l'APR ne comprenaient pas 100 hommes. En... En 1994, chaque compagnie était constituée d'environ 200 hommes de troupe.
Q. Donc en 1994, c'est‑à‑dire à l'époque des événements que nous évoquons, après le 6 avril, ça faisait combien ? Parce que, dans la traduction, ils ont dit : « En 1991, il y avait 200 hommes dans une compagnie. »
R. J'ai parlé de 1994. J'ai dit qu'à... en cette année, les compagnie de l'APR étaient constituées au moins de 200 militaires.
Q. Très bien. Merci. Je crois qu'il y a eu un problème de traduction.Alors, si nous voyons maintenant l'axe Ruhengeri, vous avez l'unité mobile Charlie, Bravo et la 9e ; c'est bien ça ?
R. Même si, sur cette carte, on voit qu'il y a l'unité Bravo, elle ne se trouvait pas vraiment à Ruhengerià cette époque. Il y avait seulement l'unité Charlie et l'unité 59.
Q. Oui, je pense que la flèche rose... ou la flèche violette, sous la carte... Vous dites que les autres unités, autres que Charlie, y sont allées après la chute de Kigali, le 27 juillet ; c'est bien cela ?
R. Non, il s'agit plutôt du mois d'avril et pas du mois de juillet. À moins que je n'aie pas bien compris.
Q. Il me semble...
M. LE PRÉSIDENT :Oui, nous voulons des éclaircissements, Monsieur le Témoin.
Q. Est‑ce que... En ce qui concerne l'axe de Ruhengeri, nous parlons simplement de Charlie, 9 et Bravo, et « que » nous ne parlons pas de 59 ; c'est cela ?
R. Il s'agit plutôt de Charlie et de la 59e unité, peut‑être que ce n'est pas clair sur la carte.
M. LE PRÉSIDENT :La flèche rouge, nous voyons « 59 » sous Byumba ; et l'autre, il s'agit de Ruhengeri, il y a des références à Charlie, 9 et Bravo. Je ne sais pas si ceci sera important au bout du compte, mais il faudrait éviter tout malentendu.
R. Je voulais simplement indiquer les unités qui sont passées par Byumba, mais ces unités étaient venues de Ruhengeri — les unités de Charlie et la 59e unité. Sinon, le triangle montre l'endroit où sont passées ces unités — le triangle rouge.
Me SKOLNIK :
Q. Monsieur Ruzibiza, peut‑être que vous pouvez nous aider à retrouver tout cela. Il faudrait que nous évitions des erreurs dans la traduction. Vous voyez, pour la flèche violette... sous la carte, où vous expliquez dans la légende, pour la flèche violette, vous dites : « l'APR après la prise de Kigali, 4 au 7 juillet 19... » Ensuite, vous dites : (lecture en français) « ... 15e bataillon de Butare, vers Gikongoro, du 59e vers Kibuye, du 7e et 9e, Bravo, Charlie vers Ruhengeri et Gisenyi. » Ainsi, faut‑il comprendre que ce que vous avez écrit là, « Charlie, Bravo, 9 » pour la flèche violette, est‑ce que vous voulez dire que ces unités sont allées à Ruhengeri et ensuite à Gisenyi après la chute de Kigali ?
R. C'est vrai. Vous voyez que je n'ai pas mentionné d'autres unités parce que même pendant la guerre, il y a eu d'autres unités qui ont été constituées, par exemple, l'unité 9 et 15 qui n'existaient pas avant le 6 avril.
Q. Et pour bien comprendre cette carte, est‑il exact de dire que la seule unité qui était en place à Ruhengeri le 6 avril, c'était Charlie — le 6 ?
R. Oui.
Q. Et cette unité Charlie a‑t‑elle affronté les Forces armées rwandaises à Ruhengeri le 6 et les jours suivants ? Quelle était la nature des accrochages entre les deux ?
R. Charlie n'avait pas reçu l'ordre de mener des combats. Ils n'étaient... ils n'avaient pas les moyens de pouvoir combattre les forces gouvernementales. Donc, c'est la seule unité de l'APR qui ne pouvait pas attaquer et elle avait seulement reçu les ordres de se défendre en cas d'une offensive des forces gouvernementales.
Q. Est‑ce qu'ils menaient, par exemple, des incursions dans les zones occupées par les forces gouvernementales ?
R. Il y a eu certaines attaques qui ont été lancées, mais il n'y a pas eu d'opération de grande envergure. Parce que, sur le plan stratégique, une unité ne peut pas provoquer une attaque alors qu'elle n'est pas en mesure de se défendre. Donc cette unité n'a fait que mener certaines attaques sporadiques dans cette région.
Q. Pour passer maintenant à un autre sujet, Monsieur Ruzibiza, je pense que vous avez indiqué dans votre livre que... Attendez, je voudrais obtenir cette précision : Est‑ce que vous êtes conscient que l'APR a pilonné le camp de réfugiés de Nyacyonga... — j'épelle : N‑Y‑A‑C‑O‑N‑G‑O (sic) — « Nyacyongo » (sic).
R. Oui, je le sais, non seulement l'APR a bombardé ce camp de réfugiés, mais les éléments de l'APR ont également tiré à la... dans ce camp.
Q. Est‑il vrai que cette opération a amené des millions ou un million de réfugiés à prendre la route vers Kigali ?
R. À Nyacyonga, il n'y a jamais eu un million de personnes déplacées. C'est après l'attaque du 8 février 1993 que le nombre de réfugiés a presque atteint ce million dont vous parlez, Maître.
Q. Oui, mais la date, lorsque nous parlons du pilonnage de ce camp, c'était en avril, n'est‑ce pas — du camp de réfugiés ?
R. Si vous parlez de Nyacyonga, je suis d'accord avec vous, ce camp a été bombardé, mais je ne suis pas sûr de ce chiffre... je ne suis pas d'accord avec ce chiffre d'un million que vous avancez.
Q. Oui, lorsqu'on dit « un million », c'est peut‑être avec tous les autres réfugiés qui venaient de Byumba et d'ailleurs. En somme, lorsque le FPR avançait, les populations se déplaçaient — je parle de l'APR.
R. C'est vrai.
Q. En tant que militaire, vous‑même, vous conviendrez avec moi que cette opération, qui a lancé sur la route un grand nombre de personnes, pouvait créer des difficultés pour les forces gouvernementales si elles voulaient mener des opérations avec toutes ces personnes qui venaient du nord, de Byumba, de Nyacyonga, et qui se dirigeaient vers le sud ; avez‑vous un point de vue là‑dessus ?
R. Personnellement, je ne vois pas le rapport avec les opérations militaires. Peut‑être que cela aurait pu poser des problèmes politiques, mais pour ce qui est des opérations militaires, je ne crois pas que cela aurait eu une incidence quelconque.
Q. Oui, je vais préciser ma pensée : S'il y a tous ces réfugiés qui sont sur la route, est‑ce que cela ne crée pas un problème logistique si vous voulez envoyer des troupes dans cette région où se trouvent les personnes déplacées ? Voilà ce que j'essaie d'expliquer.
M. LE PRÉSIDENT :
Q. Monsieur le Témoin, est‑ce que vous avez des informations à ce sujet ?
R. Personnellement, je ne vois aucun rapport avec les opérations militaires.
Me SKOLNIK :
Q. Dans votre ouvrage, vous dites que le FPR a bombardé Sainte‑Famille, les Mille Collines, Saint‑Paul et le centre hospitalier de Kigali — CHK ?
R. C'est vrai.
Q. C'est à la page 290 de votre livre et vous dites que cela a eu lieu le 1er mai 1994 ?
R. Cela est vrai.
Q. Et dans votre livre, vous dites aussi qu'à Sainte‑Famille, il y avait des Tutsis qui s'y étaient réfugiés ?
R. Oui, la plupart des personnes qui se trouvaient à Sainte‑Famille étaient des Tutsis.
Q. Et vous dites aussi que le colonel Kaberebe James — j'épelle : K‑A‑B‑E‑R‑E‑B‑E — a donné l'ordre de bombarder Sainte‑Famille ?
R. Il n'a pas seulement donné l'ordre, mais il était présent lorsque ces obus ont été lancés.
Q. Et le marché central de Nyarugenge — N‑Y‑A‑R‑U‑N‑G‑E... G‑E (sic) — et la zone de Kimisaraga (sic) et Nyogo (sic) — je vais épeler tout cela — ont été bombardés ? « Kimisagara » : K‑I‑M‑I‑S‑A‑G‑A‑R‑A ; « Biryogo » : B‑A‑R‑Y‑O‑G‑O (sic) ; et « Nyakabanda » : N‑Y‑A‑K‑A‑B‑A‑N‑D‑A. Est‑ce que ce sont là les endroits qui ont été bombardés et qui abritaient des populations civiles ?
R. Au CHK, il n'y avait pas de civils qui y résidaient, mais il y avait plutôt des patients, il y avait surtout des blessés tutsis. Et au marché, on ne peut pas savoir si c'est des civils ou des militaires. Et à Nyakabanda également, c'était une zone résidentielle, ce n'était pas une position militaire.
Q. Pour passer à un autre sujet, comme vous le savez, mon client, le général Kabiligi, était le chef des opérations des forces gouvernementales en avril 1994 ; vous le savez ?
R. Oui, Maître.
Q. Savez‑vous que le général Kabiligi n'était pas à Kigali lorsque l'avion présidentiel a été abattu le6 avril 1994 ?
R. J'en ai entendu parler, mais étant donné que je ne le connaissais pas, je ne peux pas le confirmer.
Q. Mais pouvez‑vous nous dire ce que vous saviez de la réputation de Kabiligi, vous, en tant que militaire ; quelle était sa réputation ?
R. Je ne sais rien de spécial au sujet du général Kabiligi. Mais au sein de l'APR, nous le considérions comme étant un vrai stratège, et c'était quelqu'un qui était respecté au sein de son armée. C'est tout ce que je sais à ce sujet.
Q. Conviendrez‑vous avec moi qu'il n'avait pas la réputation d'un extrémiste ?
R. Je ne peux rien dire à ce sujet, ce serait de la pure spéculation.
M. LE PRÉSIDENT :Est‑ce que nous en avons presque terminé, Maître Skolnick ?
Me SKOLNIK : Oui, j'ai terminé, Monsieur le Président. Je vous remercie pour votre patience, Monsieur le Témoin, la journée a été longue pour vous.
M. LE PRÉSIDENT :Merci, Maître Skolnik. L'équipe suivante de la Défense ?
Me TURNER : Monsieur le Président, au début, nous avions un ordre différent.
M. LE PRÉSIDENT :Il n'y a pas de problème, allez‑y.
Me TURNER :Mais je voudrais préciser qu'il y a deux questions pour lesquelles je voudrais consulter le Conseil principal. Si vous me permettez, je pourrais poser des questions supplémentaires après l'équipe de Nsengiyumva.
M. LE PRÉSIDENT :Vous voulez commencer maintenant ou vous voulez renvoyer votre interrogatoire ? Est‑ce que vous ne pouvez pas maintenant vider votre sac, à l'exception de votre... de ces deux questions ? Procédez de cette manière.
Me TURNER :Je voudrais commencer par distribuer certains passages de l'ouvrage du témoin.
M. LE PRÉSIDENT :Le témoin a le livre, et nous... Il n'y en a peut‑être parmi nous qui n'ont pas l'ouvrage ; distribuez cela.
Me TURNER :J'ai des exemplaires supplémentaires.
M. LE PRÉSIDENT :All right. First question.

CONTRE‑INTERROGATOIRE
PAR Me TURNER :
Q. Monsieur le Témoin, vous avez dit tout à l'heure que vous ne connaissiez pas le colonel Bagosora personnellement ?
M. RUZIBIZA :
R. Je ne le connais pas.
Q. Mais vous avez fait référence à lui dans votre livre ; c'est bien cela ?
R. C'est vrai.
Q. Pour que le procès‑verbal soit précis, je voudrais indiquer certaines de ces références dans votre livre. À la page 200, vous avez indiqué ceci... — Je lis en français : « Tout cela rendait furieux le colonel Bagosora qui en faisait rapport au Président Habyarimana. » Voilà l'extrait, et je crois que ceci concerne les négociations d'Arusha. Est‑ce que vous étiez présent aux négociations des Accords d'Arusha ? Est‑ce que vous avez pris part à ces négociations ?
R. Non, Maître.
Q. Est‑ce que vous pouvez dire ce qu'a été la réaction de Bagosora sur ce qui s'est passé aux négociations d'Arusha ?
R. Pour ce qui concerne le colonel Théoneste Bagosora, j'ai donné mon opinion personnelle et j'ai également repris les témoignages que j'avais reçus d'autres personnes. Tout cela, dans le cadre de la guerre qui a eu lieu dans notre pays. Donc je ne suis... je n'ai pas vraiment une opinion neutre relativement au colonel Théoneste Bagosora.
Q. Mais n'est‑il pas vrai que vous ne pourriez pas dire ce que le colonel Bagosora a dit ou fait lors des négociations d'Arusha ?
R. Je vais répéter ce que je viens de dire : Tout ce que j'ai dit à propos du colonel Bagosora ressort des témoignages que m'ont donnés certains civils ou certains anciens membres des FAR. Et j'ai également donné mon opinion personnelle en me basant sur ce que j'avais attendu dire du rôle du colonel Bagosora pendant le génocide. Donc, ce que je vous dis, c'est que je ne peux pas vous donner un témoignage neutre relativement au colonel Bagosora. Donc, je ne suis pas vraiment neutre et je ne suis pas confortable pour répondre aux questions le concernant.
M. LE PRÉSIDENT :Le témoin n'a aucun élément de preuve direct concernant le rôle de Bagosora dans les négociations.
Me TURNER :Mais j'ai encore quelques questions à lui poser, Monsieur le Président, sur certains passages de son livre.
Q. J'ai bien compris vos explications, Monsieur le Témoin. S'agissant d'un autre passage de votre livre — c'est à la page 217 —, vous avez indiqué — je lis en français : « Tandis que pour les Rwandais, l'espoir de la paix était retrouvé, les deux adversaires armés s'attendaient, eux, à l'apocalypse prédit par le colonel Théoneste Bagosora. » Et il y a une note en bas de page, ce sont des références... ou une nuance. Je voudrais que vous puissiez, autant que possible, expliquer à la Chambre quelles étaient vos sources, pour ce que vous avez écrit aux pages 217 et 218, quelles sont les sources d'informations que vous aviez à votre disposition pour indiquer cela ?
R. Je maintiens ma position et je pense qu'elle est claire. Je vous ai dit que je ne peux pas donner d'appréciation neutre concernant la personne du colonel Bagosora. Je pense qu'il serait mieux que vous ne posiez pas de question le concernant. Je ne me sens pas confortable pour donner un témoignage relativement à Bagosora, parce que tout ce que j'ai dit ressort des témoignages que j'ai reçus d'autres personnes, et également de mon opinion personnelle.
M. LE PRÉSIDENT :Est‑ce que ceci ne s'applique pas également aux pages 219, 232, 253 et 254, Madame Turner... Maître Turner ? C'est une observation... C'est une réponse qui s'applique à toutes ces pages.
Me TURNER :Monsieur le Président, je voudrais... j'aurais voulu qu'il indique les sources, pour les besoins du procès‑verbal ou, tout au moins, que le témoin nous indique les bases sur lesquelles il a fait ces affirmations.
M. LE PRÉSIDENT :Je crois comprendre que le témoin dit qu'il n'a aucun élément de preuve direct en ce qui concerne les mentions de Bagosora dans ce livre.
Q. N'est‑ce pas, Monsieur le Témoin ?
R. Oui, Monsieur le Président.
Me TURNER :
Q. Ma question suivante est celle de savoir à quel moment vous avez pour la première fois entendu le mot « apocalypse » en parlant des événements qui sont survenus au Rwanda en 1993 ou 94 ?
R. La première fois que j'ai entendu parler de ce terme « apocalypse », c'était sur les ondes de la radio Muhabura.
Q. Pouvez‑vous expliquer le contexte dans lequel ce terme a été utilisé sur les ondes de cette station de radio ?
R. La radio Muhabura était une station de radio appartenant au FPR. Cette radio ne diffusait que des bulletins d'informations, et elle donnait également des programmes sur l'histoire ou des communiqués. Mais en fait, cette radio servait pour faire la propagande du FPR. Et dans un des programmes où on parlait des négociations d'Arusha, on a dit qu'un certain Bagosora aurait dit qu'il rentrait à Kigali préparer l'apocalypse. C'est ce que j'ai entendu.
Q. Avez‑vous des informations concernant la source de ce renseignement diffusé par cette radio à propos de cette déclaration qu'on attribue à Bagosora ?
R. On dit que... On disait que cela s'était passé à Arusha et il y avait des représentants du FPR lors des négociations d'Arusha. Donc je pense que ce sont ces représentants du FPR qui ont donné cette information qui, par la suite, a été diffusée à la radio.
Q. Monsieur Ruzibiza, est‑ce que vous voyez... ou alors, est‑ce que... où est‑ce que vous placez le colonel Bagosora dans la hiérarchie militaire au Rwanda en ce qui concerne l'assassinat du Président Habyarimana ? Quel pouvoir avait‑il ?
R. Je sais seulement qu'il était directeur de cabinet au Ministère de la défense, mais quant à son pouvoir ou à son influence, je ne peux pas mesurer cela.
M. LE PRÉSIDENT :Y a‑t‑il autre chose que vous pouvez obtenir de ce témoin ? Je ne pense pas. Voulez‑vous consulter le Conseil principal pour les deux autres questions dans la soirée, pour que nous donnions la parole maintenant à Maître Otachi ou Maître Ogetto, et que vous reveniez demain ?
Me TURNER :Au besoin. Cela nous arrange, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT :Merci, Maître Turner.Le Conseil suivant ?
Me OGETTO :Merci beaucoup, Monsieur le Président. Bonjour, Monsieur le Témoin.
M. RUZIBIZA : Bonsoir, Maître.

CONTRE‑INTERROGATOIRE
PAR Me OGETTO :Tout d'abord, laissez‑moi vous remercier d'avoir eu le courage de venir déposer devant le présent Tribunal et d'évoquer ces questions majeures. Laissez‑moi vous remercier aussi d'avoir accepté de rencontrer l'équipe de la défense de Nsengiyumva avant votre déposition.
M. RUZIBIZA : Je vous remercie aussi.
Me OGETTO :
Je vais maintenant essayer d'obtenir un certain nombre d'éclaircissements, sur la base de la déposition que vous avez faite ce matin ainsi que cet après‑midi, et sur la base aussi de l'ouvrage que vous avez rédigé, ainsi que sur la déclaration déjà versée en preuve devant la présente Chambre.
Q. Ce matin, alors que le professeur Erlinder, mon éminent confrère, vous posait des questions, vous avez évoqué des tueries à Kabatwa, dans la commune de Mutura, à un moment ou à un autre de 1993 ; est‑ce que vous vous en souvenez ?
M. RUZIBIZA :
R. Oui.
Q. Vous avez dit que vous ne vous souveniez pas de la date exacte où ces tueries ont été perpétrées ; est‑ce bien exact ?
R. C'est exact, mais je me souviens « le » déroulement de cette opération.
Q. Pensez‑vous que cela aurait pu avoir eu lieu dans la nuit du 29 au 30 novembre 1993 ?
R. Je crois que c'est correct.
Q. Vous vous souvenez avoir aussi évoqué cette question dans votre livre ?
R. Oui.
Q. Avez‑vous assisté à ces tueries qui ont eu lieu dans la nuit du 29 au 30 novembre 1993 à Kabatwa ?
R. Je n'en ai pas été témoin oculaire, ce sont mes collègues qui ont mené cette opération qui me l'ont... qui « étions » renseignés. Nous étions dans la... deux équipes, l'une des équipes était allée faire un travail similaire, et nous nous « en » sommes parlé dès notre retour.
Q. Mais vous avez des renseignements concernant les auteurs de ces tueries, n'est‑ce pas ?
R. Oui, j'ai à ma disposition les auteurs de ces massacres, et c'est la raison pour laquelle j'ai consigné cela dans mon livre. Il s'agit d'une accusation très grave.
Q. Et en fait, vous avez cité les noms des auteurs de ces tueries dans votre livre, n'est‑ce pas ?
R. Oui, j'ai mentionné les noms des auteurs de ces massacres.
Q. Et les auteurs de ces massacres étaient des soldats du FPR ; c'est bien exact ?
R. C'est vrai, ils étaient membres de l'APR (sic) et appartenaient à l'unité dénommée Charlie, qui opérait à partir de Butaro.
Q. Est‑ce que vous avez des renseignements permettant d'établir si les auteurs de ces massacres avaient reçu l'ordre de commettre ces massacres ?
R. Je ne saurais expliquer ce qui concerne l'ordre qui aurait été donné, étant donné que je n'étais pas présent lors de ce briefing. Ce que je sais, c'est que ces auteurs étaient dirigés par l'adjoint du commandant de l'unité, il y avait le chef de renseignements au sein de la… Charlie, je ne sais pas si l'ordre a été donné par les responsables de cette unité. Je ne sais pas d'où émanait cet ordre.
Q. Connaissez‑vous le but de ce massacre ? Pourquoi est‑ce que des civils ont été massacrés à cette occasion spécifique ?
R. Je dirais qu'il s'agit d'une spéculation ; ce n'est qu'avec recul que j'ai fait l'analyse. Actuellement, il me semble que c'était dans le cadre de semer le désordre en vue de faciliter la reprise des hostilités. Età Kabatwa, c'étaient des Tutsis qui ont été tués, c'était donc un prétexte de reprendre la guerre, qui facilitait le FPR d'accuser l'armée gouvernementale. C'était donc question de chercher l'occasion de reprendre la guerre.
Q. Dans votre livre, vous dites que les tueurs à Kabatwa, lors de cet événement, ont utilisé les mêmes méthodes que les Interahamwe pour tuer leurs victimes. Vous vous en souvenez ?
R. Oui, j'ai mentionné cela.
Q. Pourriez‑vous nous expliquer ce que vous voulez dire par là ?
R. Les Interahamwe tuaient les gens avec une très grande violence, ils découpaient les gens, et incendiaient des maisons où se trouvaient des gens, ils portaient des uniformes civils… ils portaient la tenue civile. C'était la même chose pour les auteurs de ce massacre. On torturait les gens, et à cette occasion, la plupart de ces gens qui ont été tués, c'étaient des Tutsis. Et à l'époque, les gens pensaient qu'aucune autre personne ne pouvait tuer les Tutsis si ce n'est que les Interahamwe. Donc l'opération était agencée de sorte que l'on pouvait croire que c'étaient des Interahamwe qui avaient commis ce forfait.
Q. Savez‑vous si le MRND et la CDR ont été blâmés pour ces massacres par la suite ?
R. Je le sais. Cela s'est passé ainsi. Les victimes étaient des Tutsis. Et à l'époque, chaque fois que les Tutsis étaient tués, c'était le MRND et la CDR qui étaient accusés. Ce sont eux donc qui ont été accusés à cette occasion de ce massacre.
Q. Avez‑vous des renseignements permettant d'établir si l'APR et le FPR ont contribué à cette propagande en ce qui concerne ces tueries à Kabatwa ?
R. Ce massacre a eu lieu vers la fin de l'année 1993. La préparation de la guerre était presque terminée, le gouvernement allait être mis en place et le FPR cherchait une occasion pour déclencher la guerre. En tout cas, le FPR ne croyait pas aux Accords. Pour moi, il s'agissait d'une stratégie politique pour déclencher... déclencher de nouveau la guerre.
Q. Vous avez aussi évoqué les assassinats politiques, et vous mentionnez Gatabazi, Gapfizi et Gatumba ; est‑ce bien exact ?
R. Oui, j'ai répondu à cette question quand le professeur Erlinder posait la question.
Q. Parlons de Gatabazi, pour commencer. Dans votre ouvrage, vous donnez une date... date à laquelle il a été assassiné, vous expliquez que c'était soit le 21 février, soit le 22 février 1994 ; est‑ce bien exact ?
R. C'est correct.
Q. Et vous avez en fait mentionné dans votre livre qui étaient les personnes qui avaient tué Gatabazi ?
R. Oui.
Q. Est‑il vrai qu'il s'agissait de militaires de l'APR ?
R. C'est vrai.
Q. Pourriez‑vous préciser : Quel était l'objectif en assassinant Gatabazi ?
R. Je reviens toujours au même. On tuait les politiciens… Et faire croire que c'était à cause des dissensions qui existaient entre eux et le président Habyarimana. On rendait Habyarimana responsable de ces assassinats et cela constituait un prétexte pour reprendre la guerre. Le FPR voulait cela pour relancer la guerre, sinon, nous n'avions aucun grief contre Gatabazi.
Q. Comment avez‑vous eu les informations en ce qui concerne l'assassinat de Gatabazi ?
R. Gatabazi a été tué par les militaires qui étaient « au » même groupe que moi, et ce groupe s'appelait Network. J'étais dans un sous‑groupe qui faisait la reconnaissance, et il y avait d'autres qui menaient... qui faisaient des assassinats. Certains de ces militaires vivaient avec moi sous le même toit, et ce sont eux‑mêmes qui me l'ont rapporté.
Q. En ce qui concerne Gapfizi, vous avez aussi décrit l'assassinat de cette personne dans votre ouvrage ?
R. J'en ai parlé, mais je n'ai pas été témoin oculaire ; étant donné que je n'étais pas encore arrivé à Kigali, ce sont des informations qui m'ont été rapportées par d'autres personnes. Il a été tué au fait en 1993.
Q. Et qui vous a donné ces renseignements en ce qui concerne l'assassinat de Gapfizi ?
R. Je l'ai appris de Ngabonziza qui l'a assassiné, et cette personne est morte le premier jour de la reprise des hostilités, c'est‑à‑dire en date du 7 avril 1994. Cette personne s'appelait donc Ngabonziza.
Q. Est‑ce que vous pourriez épeler ce nom ?
R. N‑G‑A‑B‑O‑N‑Z‑I‑Z‑A. Et son prénom était Charles.
Q. Il s'agissait d'un membre de l'APR ?
R. Oui, il était membre de l'APR et il était au sein du 3e bataillon. Il est mort le premier jour des combats.
Q. Et vous savez pourquoi Gapfizi a été tué ? Vous avez des explications ?
R. À moins que je ne fasse une analyse personnelle, c'est‑à‑dire que je peux donner mon opinion personnelle, mais il a été dit que le FPR montrait des signes comme quoi il voulait prendre le pouvoir par les armes, alors que l'opposition voulait que le FPR puisse prendre le pouvoir par la négociation. Donc selon lui, le FPR voulait s'accaparer... s'accaparer de tout le pouvoir, et c'est la raison pour laquelle il a été assassiné.
Q. Et vous savez que le régime Habyarimana a été accusé du meurtre de Gapfizi ?
R. Même si le FPR l'a assassiné en tant que son ennemi, la victime était en conflit avec Habyarimana également, et c'est la raison pour laquelle on a imputé la responsabilité à Habyarimana.
Q. Dans la matinée, alors que mon confrère le professeur Erlinder vous posait des questions, vous avez évoqué des civils à qui on avait apporté... à qui le FPR avait donné un entraînement militaire et politique. Vous vous en souvenez ?
R. Oui, je l'ai dit.
Q. Et vous avez dit qu'à la fin de cet entraînement et cette formation, ces personnes avaient reçu des armes, et vous avez précisé qu'il s'agissait de pistolets, pour leur propre défense... pour l'autodéfense ; vous vous en souvenez ?
R. Je me rappelle l'avoir dit, mais j'ai bien souligné que ce n'était pas tout le monde qui recevait cette arme.
Q. Alors, quel était le critère utilisé pour la distribution de ces armes, si tout le monde n'en recevait pas ?
R. Ces armes étaient données aux gens qui inspiraient le plus de confiance. Et ceux qui étaient chargés de l'entraînement le constataient au fur et à mesure que les entraînements avançaient. Et d'ailleurs, parmi ceux qui subissaient ces entraînements, il y en avait qui avaient peur et qui ne pouvaient pas rentrer à l'intérieur du pays avec l'arme.
Q. Et vous dites qu'après cet entraînement, ces personnes sont rentrées chez elles au Rwanda ; c'est bien exact ?
R. C'est exact.
Q. Êtes‑vous en mesure de donner une estimation du nombre de civils qui ont reçu cet entraînement militaire et cette formation politique début 1994 ?
R. À partir de quand, Maître ?
Q. Combien de temps est‑ce que ces activités ont duré ? Quand ont‑elles commencées ; est‑ce que vous vous en souvenez ?
R. Ces entraînements qui étaient donnés aux cadres ont toujours eu lieu. Deuxièmement, quand les gens de l'intérieur du Rwanda ont commencé à venir, cela a commencé en 1993. Au milieu donc de 1993 jusqu'au début de 1994, les gens ont subi ces entraînements. Si je fais une estimation, je crois qu'entre 300 et 400 personnes ont subi ces entraînements et sont rentrées à l'intérieur du Rwanda. C'est là la réponse que je peux donner.
Q. Et il s'agissait là de personnes qui ont été formées entre 1993 et début 1994 ?
R. Je crois que je peux estimer leur effectif à ce chiffre.
Q. Est‑ce que ce type d'entraînements avaient lieu avant 1993 ?
R. Il y en avait en 1992, mais ce n'était pas ceux qui venaient de l'intérieur du Rwanda qui subissaient ces entraînements, étant donné que ces gens n'avaient pas d'accès à l'endroit où le FPR dispensait ces entraînements.
Q. Quelle était l'appartenance ethnique des personnes qui étaient formées ou entraînées ; est‑ce que vous vous en souvenez ?
R. Il y avait les Hutus aussi bien que les Tutsis.
Q. Et en proportions égales ?
R. Je ne saurais être précis relativement à cette question. Nous pouvions voir les gens de visage, mais nous ne demandions pas le groupe ethnique de ces gens.
Q. Et savez‑vous comment ces personnes étaient recrutées ? Sur quels critères reposait leur recrutement ?
R. Les gens qui devaient subir des entraînements du FPR étaient recrutés par des cellules qui étaient disséminées dans le pays. Et quand le nombre était important, on cherchait comment les amener dans la zone du FPR. Il y en avait qui restaient dans la zone contrôlée par le FPR tandis que les autres regagnaient l'intérieur du Rwanda.
Q. Qu'est‑ce que vous voulez dire quand vous parlez de cellules, dans le Rwanda ? Vous pouvez nous donner plus de détails ?
R. Quand je parle de cellules, je parle d'un homme qui était acquis à l'idéologie du FPR, qui attirait d'autres personnes, et il y avait un responsable de ce groupe, il y en avait partout dans le pays, et surtout dans la ville de Kigali.
Q. Êtes‑vous en mesure de nous donner le nombre de cellules qui existaient sur le territoire rwandais à cette période ?
R. Je ne le sais pas.
Q. Et quelles étaient... quelles étaient les fonctions de ces cellules ? Quelle était leur raison d'être ? Et pourquoi ont‑elles été créées ?
R. La tâche importante de la cellule au sein du FPR était de recruter les partisans, des adhérents du FPR. Il était question également de faire la cotisation parmi les membres du FPR, ainsi que certains matériels. On faisait recours aux membres de ces cellules en tant que complices du FPR, et surtout, ces cellules s'évertuaient à enseigner l'idéologie du FPR à l'endroit où se trouvait ladite cellule.
Q. Ces activités, est‑ce qu'elles étaient exercées ouvertement ou bien de façon clandestine ?
R. Ces activités étaient menées au grand secret. Cependant... Au début de l'année 1994, quand les responsables du FPR ont été acceptés dans la ville... dans le CND... dans le CND, certains des membres du FPR ainsi que ces cellules ont opéré publiquement, et il a été clair qu'il y avait des gens, des sympathisants du FPR qui opéraient clandestinement dans le pays, mais qui, par la suite, se sont mis au grand jour.
Me OGETTO :Monsieur le Président, j'ai deux questions à poser et nous pourrons ensuite lever l'audience.
Q. Vous avez dit... Je ne sais pas si je vous ai bien compris, mais vous avez dit qu'à un moment donné, certaines de ces personnes qui avaient suivi un entraînement militaire et une formation politique, à un moment donné, alors qu'elles étaient rentrées chez elles, elles avaient lancé des grenades dans le public. Est‑ce que vous vous souvenez avoir dit cela ?
R. Il ne faut pas utiliser cette information à votre guise. Les fusils et les grenades étaient donnés dans le cadre d'assurer leur propre sécurité. Mais quand il était nécessaire, pour semer le désordre, l'un de ces gens pouvait lancer une grenade. Et le FPR savait l'intérêt pour lequel cette grenade devait être lancée.
Q. Alors, dois‑je comprendre que vous nous dites que, outre les pistolets qui avaient été distribués, ces personnes avaient aussi reçu des grenades pour leur défense ; c'est ce que vous nous déclarez ?
R. Il y avait un nombre limité de personnes qui avaient à leur disposition des pistolets, par rapport aux personnes qui avaient des grenades. Les grenades étaient plus nombreuses.
Q. Et comment ont‑ils obtenu ces grenades ?
R. Avant qu'ils soit permis aux 600 membres de l'APR d'aller au CND, ces grenades provenaient de la zone contrôlée par le FPR. Quand donc ces militaires sont arrivés au CND, de connivence avec les membres des cellules, ces grenades étaient distribuées et cela se faisait aussi par le biais des autres membres de l'APR qui se trouvaient à l'extérieur du CND, tels que nous‑mêmes.
Me OGETTO:J'en ai terminé, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT :Très bien. Nous avons entendu quatre équipes de la Défense aujourd'hui.Combien de temps vous reste‑t‑il pour votre contre‑interrogatoire Maître Ogetto ?
Me OGETTO :Je pense que j'ai besoin d'entre 45 minutes et une heure, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT :Très bien. Sur la base de ce que vous avez entendu jusqu'à présent, à combien estimez‑vous la durée du contre‑interrogatoire ?
M. RASHID : Monsieur le Président, je pense qu'il me faudra moins de 2 heures.
M. LE PRÉSIDENT :Et qu'en est‑il de « DH133 » ?
Mme GRAHAM :Pour « DH133 », il me faudra environ deux heures.
M. LE PRÉSIDENT :Donc, on devrait pouvoir terminer avec ces deux témoins d'ici 13 heures demain.Très bien. Donc demain matin, nous ne serons pas dans la salle Laïti Kama, nous serons ici. Donc nous nous retrouvons ici demain matin à 8 h 45. L'audience est levée.

(Levée de l'audience : 17 h 5)

(Pages 45 à 83 prises et transcrites par Laure Ketchemen, s.o.)






SERMENT D’OFFICE

Nous, sténotypistes officielles, en service au Tribunal pénal international pour le Rwanda, certifions, sous notre serment d’office, que les pages qui précèdent ont été prises au moyen de la sténotypie et transcrites par ordinateur, et que ces pages contiennent la transcription fidèle et exacte des notes recueillies au mieux de notre compréhension.

ET NOUS AVONS SIGNÉ :
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Hélène Dolin Laure Ketchemen