Blancs menteurs se disputent sur le génocide du Rwanda de 1994
Point de vue
Ce qui a manqué à l'opération "Turquoise", par Patrick May
LE MONDE 12.01.06 13h43 • Mis à jour le 12.01.06 13h43
Le général Jean-Claude Lafourcade signe dans Le Monde du 5 janvier une défense des soldats de l'opération "Turquoise" au Rwanda en 1994, dont il était le commandant. Le général ne se trompe pas de cible, il se trompe de combat. Sans doute, l'opération "Turquoise" ne fut pas parfaite et elle a comporté des lacunes, comme l'affaire de Bisesero entre les 27 et 29 juin 1994, où des Tutsis sont morts faute d'un secours des Français, pourtant informés du danger qu'ils couraient. On peut deviner que ce n'est pas le seul endroit du Rwanda où l'armée française a fait preuve d'un manque de rigueur. Ce qui ne veut pas dire "complicité de génocide", sauf si l'on devait découvrir que c'est sciemment que les Français ont abandonné les Tutsis de Bisesero. L'honneur des soldats français n'est donc pas, dans l'état actuel du dossier, à mettre en cause ici.
En revanche, ce que le général omet de dire, lorsqu'il cite les faits, c'est que la France a voté le 21 avril 1994 la résolution 912 du Conseil de sécurité des Nations unies, préconisant le retrait des casques bleus du Rwanda, s'alignant ainsi sur la lâcheté de la Belgique et des Nations unies et abandonnant les Tutsis à leurs bourreaux. Alors, un procès des défaillances de l'ONU et de ses responsables, comme le suggère le général ? Oui, si l'on inclut la France dans ces derniers.
Ce qui a manqué à l'opération "Turquoise", par Patrick May
LE MONDE 12.01.06 13h43 • Mis à jour le 12.01.06 13h43
Le général Jean-Claude Lafourcade signe dans Le Monde du 5 janvier une défense des soldats de l'opération "Turquoise" au Rwanda en 1994, dont il était le commandant. Le général ne se trompe pas de cible, il se trompe de combat. Sans doute, l'opération "Turquoise" ne fut pas parfaite et elle a comporté des lacunes, comme l'affaire de Bisesero entre les 27 et 29 juin 1994, où des Tutsis sont morts faute d'un secours des Français, pourtant informés du danger qu'ils couraient. On peut deviner que ce n'est pas le seul endroit du Rwanda où l'armée française a fait preuve d'un manque de rigueur. Ce qui ne veut pas dire "complicité de génocide", sauf si l'on devait découvrir que c'est sciemment que les Français ont abandonné les Tutsis de Bisesero. L'honneur des soldats français n'est donc pas, dans l'état actuel du dossier, à mettre en cause ici.
En revanche, ce que le général omet de dire, lorsqu'il cite les faits, c'est que la France a voté le 21 avril 1994 la résolution 912 du Conseil de sécurité des Nations unies, préconisant le retrait des casques bleus du Rwanda, s'alignant ainsi sur la lâcheté de la Belgique et des Nations unies et abandonnant les Tutsis à leurs bourreaux. Alors, un procès des défaillances de l'ONU et de ses responsables, comme le suggère le général ? Oui, si l'on inclut la France dans ces derniers.
Ce que le général omet également de dire, c'est que l'opération "Turquoise" fut décidée en fin de génocide, dans la troisième semaine de juin 1994, lorsqu'il est apparu que le FPR, contrairement à toutes les prévisions, pourrait gagner la guerre (l'aéroport de Kigali était tombé depuis un mois).
Ce que le général omet encore de dire, c'est que la France avait un passé chargé de coopération militaire avec le régime d'Habyarimana, lequel a imaginé, organisé et préparé le génocide des Tutsis. Dans ces conditions, l'ambiguïté de l'opération "Turquoise" était patente.
Alors, venir affirmer que "seule la France a eu la volonté politique et militaire d'intervenir pour arrêter les massacres" relève de la farce de mauvais goût. Sans doute le général et ses soldats étaient-ils sensibilisés par le drame des Tutsis, mais il n'est pas crédible que la diplomatie française l'ait été. Laisser faire un génocide pendant deux mois et demi après avoir retiré les casques bleus et s'arroger les lauriers de la sensibilité humanitaire parce que l'on a monté tardivement une opération tampon entre belligérants, quoi de plus cynique ? On peut certes, avec Hubert Védrine, refuser de croire que la France ait eu la moindre intention de soutenir le génocide des Tutsis, mais elle a soutenu des gens qui l'ont orchestré, même si elle a exhorté — vox clamans in deserto — le régime Habyarimana à s'ouvrir à la démocratie.
Le devoir de la France, depuis la création de la Radio-télévision libre des mille collines, la radio de haine anti-Tutsis du pouvoir, au printemps 1993, soit un an avant le génocide, aurait été d'avoir la lucidité de comprendre que le régime Habyarimana était sur le point de commettre l'irréparable et d'essayer de s'y opposer. Ce qu'elle n'a pas fait — pas plus que quiconque — alors qu'elle était la nation la mieux placée à l'époque au Rwanda pour le faire. (D'après certains témoins, elle aurait même fait le contraire, équipant les FAR longtemps après le début du génocide, faits qui ne sont pas absolument établis mais sur lesquels la France ne s'est jamais expliquée.)
Si la France avait eu des préoccupations humanitaires, elle aurait mis son veto à la résolution 912 et, le cas échéant, aurait monté son opération "Turquoise" fin avril et non fin juin. En mélangeant diplomatie et action militaire, le général Lafourcade espère peut-être atténuer, par la vertu de ses soldats, la responsabilité de la France politique dans les événements tragiques du Rwanda en 1994.
Patrick May est le coauteur, avec Yolande Mukagasana, de La mort ne veut pas de moi (éd. Fixot, 1997).
PATRICK MAY
Le Monde - 12 jan 2006Le général Jean-Claude Lafourcade signe dans Le Monde du 5 janvier une défense des soldats de l'opération "Turquoise" au Rwanda en 1994, dont il était le ...
Article paru dans l'édition du 13.01.06
Article paru dans l'édition du 13.01.06
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