Tuesday, September 25, 2007

General Karenzi Karake : Un general rwandais controversé nommé par l’ONU au Darfour



25/09/2007 20:30


Confirmé la semaine dernière au poste de numéro deux de la future force de paix au Darfour, le général rwandais Karenzi Karake est soupçonné d’avoir couvert des crimes commis par des troupes placées sous son commandement


L’annonce de la nomination d’un général rwandais soupçonné de crimes de guerre au poste de commandant en second de la future force de paix au Darfour sème le trouble à l’ONU et au sein des grandes ONG de défense des droits de l’homme. Le général Karenzi Karake, 46 ans, a, à plusieurs reprises entre 1993 et 2000, commandé des unités de l’armée rwandaise accusées de graves exactions, dont certaines ont été dénoncées par l’ONU.Ce fut le cas par exemple en 2000 dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). À l’époque, les armées ougandaise et rwandaise, autrefois alliées dans leur opposition au gouvernement de Laurent-Désiré Kabila, s’affrontent pour le contrôle de la ville de Kisangani, haut lieu du commerce des diamants.


L'armée rwandaise dénoncée en RDC


Du 5 au 11 juin 2000, des combats extrêmement violents éclatent : les deux armées pilonnent sans discernement les quartiers résidentiels de la ville.« Plus de 760 civils ont trouvé la mort et 1 700 ont été blessés », estime la mission d’évaluation de l’ONU qui se rend sur place deux mois plus tard. « Les forces armées ougandaises et rwandaises ont utilisé plusieurs établissements scolaires pour lancer des attaques », rapporte la mission, qui souligne que la manière dont les combats ont été menés par les deux bords dénote un « mépris profond pour la population civile ».À la tête de l’Armée patriotique rwandaise (APR) à Kisangani, le « responsable des opérations et de l’entraînement », Karenzi Karake a alors rang de colonel. Il est arrivé sur place le 25 mai, officiellement pour superviser le désengagement des troupes ougandaises et rwandaises. En fait de retrait, la « guerre des six jours », début juin, justifiera à elle seule une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU.


A la tête de la Direction du renseignement militaire


Fils d’exilés rwandais d’Ouganda, Karenzi Karake s’est engagé dès le début des années 1990 au sein du Front patriotique rwandais (FPR) qui prendra le pouvoir à Kigali en 1994. Décrit par un ancien lieutenant de l’APR, Abdul Ruzibiza (1), comme l’organisateur de plusieurs assassinats de leaders hutus opposés au FPR en 1993-1994, il est placé au lendemain du génocide à la tête de la Direction du renseignement militaire (DMI), un organisme accusé de nombreux crimes.Karenzi Karake est cité dans une plainte en cours d’instruction auprès de l’Audience nationale espagnole. Elle vise des officiers supérieurs de l’APR pour leur implication présumée dans le meurtre de neuf ressortissants espagnols, dont six missionnaires catholiques, et pour d’autres crimes commis entre 1990 et 2002. « Quand j’ai appris la nomination de Karenzi Karake, je me suis demandé s’il n’y avait pas de militaire rwandais compétent pour occuper un tel poste qui ne soit pas suspect de tels crimes », s’étonne l’avocat Jordi Palou Loverdos, porte-parole des plaignants. « Tout officier général rwandais actuel était en activité à cette période, avec tout ce que cela implique », estime un responsable d’une ONG de défense des droits de l’homme.


"De fortes présomptions de crimes commis sous ses ordres"


C’est un parti d’opposition en exil, les Forces démocratiques unifiées, qui a le premier attiré l’attention sur le passé trouble du général. Mais certaines de ses accusations ont été facilement démenties par les autorités rwandaises, qui ont loué « l’expérience » d’un officier « qui a valablement servi dans plusieurs fonctions de commandement ». Les principales ONG de défense des droits de l’homme ont elles aussi alerté l’ONU, plus discrètement. En 1998, un rapport d’Amnesty International consacré au Rwanda relatait des assassinats de civils commis par l’APR pendant les mois de février à avril 1998 dans la province de Gitarama et en mai dans la préfecture de Ruhengeri. Or, selon des dépêches et articles de presse de l’époque, Karenzi Karake, alors lieutenant-colonel, commanda les opérations de l’APR à Gitarama à partir de décembre 1997 avant d’occuper le même poste à Ruhengeri à partir de mai 1998 au plus tard.« Nous avons de fortes présomptions que des crimes ont été commis sous ses ordres, déclare sous le couvert de l’anonymat un chercheur d’une ONG. Si le statut de Rome s’appliquait avant 2002, Karenzi Karake serait passible de la Cour pénale internationale. » « Nous avons immédiatement fait part de nos doutes au département des opérations de maintien de la paix de l’ONU, confirme de son côté un responsable d’une autre ONG. Nous ne disposons pas de preuves formelles mais nous sommes persuadés que le Tribunal pénal international pour le Rwanda, entre autres, est susceptible d’en posséder. »


Un imbroglio diplomatique


Selon nos informations, l’ONU a demandé au gouvernement rwandais de lui proposer une liste de plusieurs officiers parmi lesquels elle pourrait faire son choix pour le Darfour. Le Rwanda a alors opposé un refus assorti de la menace d’un retrait de ses troupes du Darfour. Un chantage efficace, alors que la force hybride ONU-Union africaine (UA) tarde à se mettre en place. S’élevant à 2 000 hommes dans l’actuelle force africaine, la participation rwandaise devrait atteindre 2 800 soldats dans la future force de 26 000 hommes qui doit être déployée en 2008.L’ONU est embarrassée, car ses relations avec le Rwanda sont déjà très délicates en raison de sa gestion désastreuse du dossier rwandais avant et pendant le génocide de 1994. L’Union africaine n’a pas simplifié les choses en confirmant en août, sans concertation avec l’ONU, la désignation du général Karake, annoncée par Kigali. Karenzi Karake est arrivé au Darfour le 16 septembre, avant la confirmation par l’ONU de sa nomination le 17, et avant même, selon certaines sources, la signature de son contrat. Cette entrée en fonction n’a pas éteint toutes les réserves à l’ONU et au département d’État américain. « Pour l’efficacité de la mission, c’est un bon choix, estime un Occidental l’ayant côtoyé de longue date. Du point de vue de la morale, c’est un autre problème. »


Laurent D’ERSU


(1) Auteur de Rwanda, l’histoire secrète, Panama, 2005, 22 €.


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